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à qui il faut des palais et des ouvrages d’une étendue immense pour être frappé : du sauvage et de l’homme policé ; du sauvage, qui est enchanté, à la vue d’une pendeloque de verre, d’une bague de laiton, ou d’un bracelet de quincaille ; et de l’homme policé, qui n’accorde son attention qu’aux ouvrages les plus parfaits : des premiers hommes, qui prodiguaient les noms de beaux, de magnifiques, etc., à des cabanes, des chaumières et des granges ; et des hommes d’aujourd’hui, qui ont restreint ces dénominations aux derniers efforts de la capacité de l’homme.

Placez la beauté dans la perception des rapports, et vous aurez l’histoire de ses progrès depuis la naissance du monde jusqu’aujourd’hui ; choisissez pour caractère différentiel du beau en général, telle autre qualité qu’il vous plaira, et votre notion se trouvera tout à coup concentrée dans un point de l’espace et du temps.

La perception des rapports est donc le fondement du beau ; c’est donc la perception des rapports qu’on a désignée dans les langues sous une infinité de noms différents, qui tous n’indiquent que différentes sortes de beau.

Mais dans la nôtre, et dans presque toutes les autres, le terme beau se prend souvent par opposition à joli ; et sous ce nouvel aspect, il semble que la question du beau ne soit plus qu’une affaire de grammaire, et qu’il ne s’agisse plus que de spécifier exactement les idées qu’on attache à ce terme. (Voyez à l’article suivant Beau opposé à Joli.)

Après avoir tenté d’exposer en quoi consiste l’origine du beau, il ne nous reste plus qu’à rechercher celle des opinions différentes que les hommes ont de la beauté : cette recherche achèvera de donner de la certitude à nos principes ; car nous démontrerons que toutes ces différences résultent de la diversité des rapports aperçus ou introduits, tant dans les productions de la nature que dans celles des arts.

Le beau qui résulte de la perception d’un seul rapport, est moindre ordinairement que celui qui résulte de la perception de plusieurs rapports. La vue d’un beau visage ou d’un beau tableau affecte plus que celle d’une seule couleur ; un ciel étoilé, qu’un rideau d’azur ; un paysage, qu’une campagne ouverte ; un édifice, qu’un terrain uni ; une pièce de musique,