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article de dictionnaire, que d’entrer dans tous ces détails : il nous suffit d’avoir montré les principes ; nous abandonnons au lecteur le soin des conséquences et des applications. Mais nous pouvons lui assurer que, soit qu’il prenne ses exemples dans la nature, ou qu’il les emprunte de la peinture, de la morale, de l’architecture, de la musique, il trouvera toujours qu’il donne le nom de beau réel à tout ce qui contient en soi de quoi réveiller l’idée de rapport ; et le nom de beau relatif, à tout ce qui réveille des rapports convenables avec les choses auxquelles il en faut faire la comparaison.

Je me contenterai d’en apporter un exemple, pris de la littérature. Tout le monde sait le mot sublime de la tragédie des Horaces : Qu’il mourût. Je demande à quelqu’un qui ne connaît point la pièce de Corneille, et qui n’a aucune idée de la réponse du vieil Horace, ce qu’il pense de ce trait : Qu’il mourût. Il est évident que celui que j’interroge ne sachant ce que c’est que ce qu’il mourût, ne pouvant deviner si c’est une phrase complète ou un fragment, et apercevant à peine entre ces trois termes quelque rapport grammatical, me répondra que cela ne lui paraît ni beau ni laid. Mais si je lui dis que c’est la réponse d’un homme consulté sur ce qu’un autre doit faire dans un combat, il commence à apercevoir dans le répondant une sorte de courage qui ne lui permet pas de croire qu’il soit toujours meilleur de vivre que de mourir ; et le qu’il mourût commence à l’intéresser. Si j’ajoute qu’il s’agit dans ce combat de l’honneur de la patrie ; que le combattant est fils de celui qu’on interroge ; que c’est le seul qui lui reste ; que le jeune homme avait affaire à trois ennemis, qui avaient déjà ôté la vie à deux de ses frères ; que le vieillard parle à sa fille ; que c’est un Romain : alors la réponse qu’il mourût, qui n’était ni belle, ni laide, s’embellit à mesure que je développe ses rapports avec les circonstances, et finit par être sublime.

Changez les circonstances et les rapports, et faites passer le qu’il mourût du théâtre français sur la scène italienne, et de la bouche du vieil Horace dans celle de Scapin, le qu’il mourût deviendra burlesque.

Changez encore les circonstances, et supposez que Scapin soit au service d’un maître dur, avare et bourru, et qu’ils soient attaqués sur un grand chemin par trois ou quatre brigands.