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prononcé que l’objet est beau. D’ailleurs le jugement, en pareil cas, est presque toujours du beau relatif, et non du beau réel.

Ou l’on considère les rapports dans les mœurs, et l’on a le beau moral ; ou on les considère dans les ouvrages de littérature, et l’on a le beau littéraire ; ou on les considère dans les pièces de musique, et l’on a le beau musical ; ou on les considère dans les ouvrages de la nature, et l’on a le beau naturel ; ou on les considère dans les ouvrages mécaniques des hommes, et l’on a le beau artificiel ; ou on les considère dans les représentations des ouvrages de l’art ou de la nature, et l’on a le beau d’imitation : dans quelque objet, et sous quelque aspect que vous considériez les rapports dans un même objet, le beau prendra différents noms.

Mais un même objet, quel qu’il soit, peut être considéré solitairement et en lui-même, ou relativement à d’autres. Quand je prononce d’une fleur qu’elle est belle, ou d’un poisson qu’il est beau, qu’entends-je ? Si je considère cette fleur ou ce poisson solitairement, je n’entends pas autre chose, sinon que j’aperçois entre les parties dont ils sont composés, de l’ordre, de l’arrangement, de la symétrie, des rapports (car tous ces mots ne désignent que différentes manières d’envisager les rapports mêmes) : en ce sens toute fleur est belle, tout poisson est beau ; mais de quel beau ? de celui que j’appelle beau réel.

Si je considère la fleur et le poisson relativement à d’autres fleurs et d’autres poissons ; quand je dis qu’ils sont beaux, cela signifie qu’entre les êtres de leur genre, qu’entre les fleurs celle-ci, qu’entre les poissons celui-là, réveillent en moi le plus d’idées de rapports, et le plus de certains rapports ; car je ne tarderai pas à faire voir que tous les rapports n’étant pas de la même nature, ils contribuent plus ou moins les uns que les autres à la beauté. Mais je puis assurer que sous cette nouvelle façon de considérer les objets, il y a beau et laid ; mais quel beau, quel laid ? celui qu’on appelle relatif.

Si au lieu de prendre une fleur ou un poisson, on généralise, et qu’on prenne une plante ou un animal ; si on particularise et qu’on prenne une rose et un turbot, on en tirera toujours la distinction du beau relatif et du beau réel.

D’où l’on voit qu’il y a plusieurs beaux relatifs, et qu’une tulipe peut être belle ou laide entre les tulipes, belle ou laide