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Le P. André passe ensuite à l’application de ses principes aux mœurs, aux ouvrages d’esprit et à la musique ; et il démontre qu’il y a dans ces trois objets du beau, un beau essentiel, absolu et indépendant de toute institution, même divine, qui fait qu’une chose est une ; un beau naturel dépendant de l’institution du créateur, mais indépendant de nous ; un beau arbitraire, dépendant de nous, mais sans préjudice du beau essentiel.

Un beau essentiel dans les mœurs, dans les ouvrages d’esprit et dans la musique, fondé sur l’ordonnance, la régularité, la proportion, la justesse, la décence, l’accord, qui se remarquent dans une belle action, une bonne pièce, un beau concert, et qui font que les productions morales, intellectuelles et harmoniques sont unes.

Un beau naturel, qui n’est autre chose dans les mœurs, que l’observation du beau essentiel dans notre conduite, relative à ce que nous sommes entre les êtres de la nature ; dans les ouvrages d’esprit, que l’imitation et la peinture fidèle des productions de la nature en tout genre ; dans l’harmonie, qu’une soumission aux lois que la nature a introduites dans les corps sonores, leur résonnance et la conformation de l’oreille.

Un beau artificiel, qui consiste dans les mœurs à se conformer aux usages de sa nation, au génie de ses concitoyens, à leurs lois ; dans les ouvrages d’esprit, à respecter les règles du discours, à connaître la langue, et à suivre le goût dominant ; dans la musique, à insérer à propos la dissonance, à conformer ses productions aux mouvements et aux intervalles reçus.

D’où il s’ensuit que, selon le P. André, le beau essentiel et la vérité ne se montrent nulle part avec tant de profusion que dans l’univers ; le beau moral, que dans le philosophe chrétien ; et le beau intellectuel, que dans une tragédie accompagnée de musique et de décoration.

L’auteur qui nous a donné l’Essai sur le mérite et la vertu, rejette toutes ces distinctions du beau, et prétend avec beaucoup d’autres, qu’il n’y a qu’un beau, dont l’utile est le fondement : ainsi tout ce qui est ordonné de manière à produire le plus parfaitement l’effet qu’on se propose, est suprêmement beau. Si vous lui demandez qu’est-ce qu’un bel homme, il vous répondra que c’est celui dont les membres bien proportionnés con-