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que cela convient ; il faut qu’ils l’accompagnent, mais il ne faut pas qu’ils soient sur ses épaules.

Changez-moi cet Ulysse, c’est un Ulysse d’osier. Si vous ne connaissez pas cet éloquent, impérieux et adroit scélérat, lisez Homère et Virgile jusqu’à ce que les idées de ces deux grands poètes, fermentant dans votre imagination, vous aient donné la vraie physionomie de ce personnage.

Faites-lui faire un pas de plus, afin de diminuer ce vide énorme qui coupe en deux votre composition. Que votre scène soit une. Plus près d’Andromaque, elle pourra lui parler, il pourra l’entendre.

Repoussez-moi vers le fond ce soldat qui s’est saisi de l’enfant ; qu’il ne cache pas à sa mère celui à qui elle doit adresser son désespoir.

Laissez votre Andromaque prosternée comme elle l’est, car elle est très-bien ; qu’elle saisisse seulement d’une main son fils ou le soldat, comme il vous plaira ; que son autre bras, sa tête, son corps, ses regards, son mouvement, toute son action, soient portés vers Ulysse, comme il arrivera, sans y rien changer, lorsque vous aurez écarté ce soldat.

Votre Astyanax est de bois. Qu’il ait ses deux petits bras étendus vers sa mère, et faites qu’il réponde à sa douleur. Cela fait, tout sera ensemble, et votre scène sera une, forte et raisonnée. Surtout laissez dire ces imbéciles qui trouvent étrange que les suivantes paraissent plus affligées que la mère. Il faut que chacun marque sa passion d’une manière convenable à son rang et à son caractère. Renvoyez-moi ces gens-là à l’endroit où notre poëte fait dire à un monarque sur le point d’abandonner au couteau d’un prêtre sa propre fille :


Encor si je pouvais, libre dans mon malheur,
Par des larmes au moins soulager ma douleur !
Triste destin des rois ! Esclaves que nous sommes
Et des rigueurs du sort et des discours des hommes,
Nous nous voyons sans cesse assiégés de témoins ;
Et les plus malheureux osent pleurer le moins.
Racine, Iphigénie, acte Ier, sc. v.


Andromaque est mère, mais elle est fille de souverain, souveraine elle-même et femme d’Hector. Tant que son fils est sous ses yeux, il lui reste de l’espoir. Ses suivantes ne peuvent