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de poignards, qui ne sont bons que pour des enfants. Une tragédie n’est, selon moi, qu’une belle page historique qui se partage en un certain nombre de repos marqués. On attend le shérif. Il arrive. Il interroge le seigneur du village. Il lui propose d’apostasier. Celui-ci s’y refuse. Il le condamne à mort. Il l’envoie dans les prisons. La fille vient demander la grâce de son père. Le shérif la lui accorde à une condition révoltante. Le seigneur du village est mis à mort. Les habitants poursuivent le shérif. Il fuit devant eux. L’amant de la fille du seigneur l’étend mort d’un coup de poignard ; et l’atroce intolérant meurt au milieu des imprécations. Il n’en faut pas davantage à un poète pour composer un grand ouvrage. Que la fille aille interroger sa mère sur son tombeau, pour en apprendre ce qu’elle doit à celui qui lui a donné la vie. Qu’elle soit incertaine sur le sacrifice de l’honneur que l’on exige d’elle. Que, dans cette incertitude, elle tienne son amant loin d’elle, et se refuse aux discours de sa passion. Qu’elle obtienne la permission de voir son père dans les prisons. Que son père veuille l’unir à son amant, et qu’elle n’y consente pas. Qu’elle se prostitue. Que, tandis qu’elle se prostitue, son père soit mis à mort. Que vous ignoriez sa prostitution jusqu’au moment où, son amant la trouvant désolée de la mort de son père qu’il lui apprend, il en apprend le sacrifice qu’elle a fait pour le sauver. Qu’alors le shérif, poursuivi par le peuple, arrive, et qu’il soit massacré par l’amant. Voilà une partie des détails d’un pareil sujet[1].

LE SECOND

Une partie !

LE PREMIER

Oui, une partie. Est-ce que les jeunes amants ne proposeront pas au seigneur du village de se sauver ? Est-ce que les habitants ne lui proposeront pas d’exterminer le shérif et ses satellites ? Est-ce qu’il n’y aura pas un prêtre défenseur de la tolérance ? Est-ce qu’au milieu de cette journée de douleur, l’amant restera oisif ? Est-ce qu’il n’y a pas de liaisons à supposer entre ces personnages ? Est-ce qu’il n’y a aucun parti à tirer de ces liaisons ? Est-ce qu’il ne peut pas, ce shérif, avoir été l’amant de la fille du seigneur du village ? Est-ce qu’il ne revient pas l’âme pleine de vengeance, et contre le père qui l’aura

  1. Voir le Plan du Shérif en tête de ce volume.