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Monsieur Hardouin.

Je dis qu’il a la tête tournée de votre fille, et que ce n’est pas un grand malheur.

Madame de Vertillac.

Une dissimulation de quatre jours ! Je ne pardonnerai jamais ce mystère à ma fille. Mais parlons d’abord de nous, ensuite nous parlerons d’elle. Je me doute bien que depuis notre cruelle séparation votre cœur ne vous est pas resté. Point de question de ma part sur ce point, parce que vous me mentiriez peut-être ; aucune de la vôtre, s’il vous plaît, parce que je serais femme à vous dire la vérité. Mais votre temps, votre talent ?

Monsieur Hardouin.

Ma foi, je les donne à tous ceux qui en font assez de cas pour les accepter.

Madame de Vertillac.

C’est ainsi que la vie se passe sans acquérir ni réputation ni fortune.

Monsieur Hardouin.

Si la fortune vient à moi, je ne la repousserai pas ; mais on ne me verra jamais courir après elle. Quant à la réputation, c’est un murmure qui peut flatter un moment, mais qui ne vaut guère la peine qu’on s’en soucie, surtout quand on quitte Tartuffe et le Misanthrope pour courir à Jérôme Pointu[1]. Le bon goût est perdu.

Madame de Vertillac.

Mais vous êtes devenu philosophe.

Monsieur Hardouin.

Et triste.

Madame de Vertillac.

Triste ! et pourquoi ? Ils disent tous que la sagesse est la source de la sérénité.

Monsieur Hardouin.

La mienne s’afflige de la folie.

Madame de Vertillac.

Vous n’y pensez pas. Les fous ont été créés pour l’amusement du sage, il faut en rire.

Monsieur Hardouin.

On passerait son temps à rire de ses amis.

  1. Jérôme Pointu, farce de Robineau dit Beaunoir, fut joué en 1781.