Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/178

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Madame Bertrand.

Il m’a laissée sans fortune et avec un enfant. Je sollicite une pension qu’on n’a pas le front de me refuser.

Monsieur Hardouin.

Et qui vous paraît mesquine. Madame, l’État est obéré.

Madame Bertrand.

J’en suis satisfaite, mais je la voudrais réversible sur la tête de mon fils.

Monsieur Hardouin.

À vous parler vrai, votre demande et le refus du ministre me semblent également justes.

Madame Bertrand.

Si je venais à mourir, que deviendrait mon pauvre enfant ?

Monsieur Hardouin.

Vous êtes jeune, vous êtes fraîche…

Madame Bertrand.

Avec tout cela on y est aujourd’hui, on n’y est pas demain. Tout ce qu’il était possible de mettre de protection à mon affaire, je l’ai inutilement employé : des princes, des ducs, des évêques, des prêtres, des archevêques, d’honnêtes femmes…

Monsieur Hardouin.

Les autres vous auraient mieux servie.

Madame Bertrand.

Vous l’avouerai-je ? je ne les ai pas dédaignées.

Monsieur Hardouin.

C’est que tous ces gens-là ne savent pas solliciter.

Madame Bertrand.

Et vous le savez, vous ?

Monsieur Hardouin.

Très-bien. Il y a des principes à tout : il faut d’abord s’intéresser fortement à la chose.

Madame Bertrand.

Et vous prendriez cet intérêt à la mienne ?

Monsieur Hardouin.

Pourquoi pas, madame ? Rien ne me semble plus aisé. Ils ont des âmes de bronze, il faut savoir amollir ces âmes-là.