Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/65

Cette page n’a pas encore été corrigée

immobile dans ces ténèbres , lorsque je fus frappé d'une voix mourante qui se faisait à peine entendre et qui disait en s'éteignant : « André, est-ce toi ? Il y a longtemps que je t'attends ». Je courus à l'endroit d'où venait cette voix, je rencontrai des bras nus qui cherchaient dans l'obscurité. Je les saisis. Je les baisai. Je les baignai de larmes. C'étaient ceux de mon maître. ( Une petite pause..) Il était nu. Il était étendu sur la terre humide « Les malheureux qui sont ici , me dit-il à voix basse, ont abusé de mon âge et de ma faiblesse pour m'arracher le pain , et pour m'ôter ma paille »


Ici tous les domestiques pouffent- un cri de douleur. Clairville ne peut plus contenir les siens. Dorval fait signe à André de s'arrêter un moment. André s'arrête. Puis il continue en sanglotant  

Cependant je me dépouille de mes lambeaux , et je les étends sous mon maître , qui bénissait d'une voix expirante la bonté du Ciel.


Dorval Bas a part et avec amertume :

Qui le faisait mourir dans le fond d'un cachot, sur les haillons de son valet !

André : Je me souvins alors des aumônes que j'avais reçues. J’appelai du secours , et je ranimai mon vieux et respectable maître, Lorsqu'il eut un peu repris de ses forces : « André, me dit-il aie bon courage. Tu sortiras d'ici. Pour moi, je sens, à ma faiblesse qu'il faut que j'y meure » Alors je sentis ses bras se passer autour de mon cou , son visage s'approcher du mien , et ses pleurs couler sur mes joues. « Mon ami , me dit-il ,et ce fut ainsi qu'il m'appela souvent , tu vas recevoir mes derniers soupirs. Tu porteras mes dernières paroles à mes enfants » Hélas ! c'était de moi qu'ils devaient les entendre!

Clairville Regardant Dorval, et pleurant :

Ses enfants !

André : Il m'avait dit pendant la traversée , qu'il était né Français , qu'il ne s'appelait point Mérian; qu'en s'éloignant de sa patrie, il avait quitté son nom de famille pour des raisons que je saurais un jour. Hélas ! il ne croyait pas ce jour si prochain ! Il soupirait, et j'en allais apprendre davantage lorsque nous entendîmes notre cachot s'ouvrir. On nous appela, c'était cet ancien