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Le Père de famille.

J’aurai eu des enfants, j’aurai vécu malheureux, et je mourrai seul !… Que m’aura-t-il servi d’avoir été père ? Ah !…

Le Commandeur.

Pleurez.

Le Père de famille.

Homme cruel ! épargnez-moi. À chaque mot qui sort de votre bouche, je sens une secousse qui tire mon âme et qui la déchire… Mais non, mes enfants ne sont pas tombés dans les égarements que vous leur reprochez. Ils sont innocents ; je ne croirai point qu’ils se soient avilis, qu’ils m’aient oublié jusque-là… Saint-Albin !… Cécile !… Germeuil !… Où sont-ils ?… S’ils peuvent vivre sans moi, je ne peux vivre sans eux… J’ai voulu les quitter… Moi, les quitter !… Qu’ils viennent… qu’ils viennent tous se jeter à mes pieds.

Le Commandeur.

Homme pusillanime, n’avez-vous point de honte ?

Le Père de famille.

Qu’ils viennent… Qu’ils s’accusent… Qu’ils se repentent…

Le Commandeur.

Non ; je voudrais qu’ils fussent cachés quelque part, et qu’ils vous entendissent.

Le Père de famille.

Et qu’entendraient-ils, qu’ils ne sachent ?

Le Commandeur.

Et dont ils n’abusent.

Le Père de famille.

Il faut que je les voie et que je leur pardonne, ou que je les haïsse…

Le Commandeur.

Eh bien ! voyez-les ; pardonnez-leur. Aimez-les, et qu’ils soient à jamais votre tourment et votre honte. Je m’en irai si loin, que je n’entendrai parler ni d’eux ni de vous.