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— Un soufflet, morbleu ! un soufflet ! Et que fit-il donc ?

— Ce qu’il fit après son soufflet reçu ? il prit un air riant, et dit à M. Aubertot : « Cela c’est pour moi ; mais mes pauvres ?… »

À ce mot tous les auditeurs s’écrièrent d’admiration excepté mon capitaine qui leur disait : « Votre M. Le Pelletier, messieurs, n’est qu’un gueux, un malheureux, un lâche, un infâme, à qui cependant cette épée aurait fait prompte justice, si j’avais été là ; et votre Aubertot aurait été bien heureux, s’il ne lui en avait coûté que le nez et les deux oreilles. »

L’orateur lui répliqua : « Je vois, monsieur, que vous n’auriez pas laissé le temps à l’homme insolent de reconnaître sa faute, de se jeter aux pieds de M. Le Pelletier, et de lui présenter sa bourse.

— Non, certes !

— Vous êtes un militaire, et M. Le Pelletier est un chrétien ; vous n’avez pas les mêmes idées du soufflet.

— La joue de tous les hommes d’honneur est la même.

— Ce n’est pas tout à fait l’avis de l’Évangile.

— L’Évangile est dans mon cœur et dans mon fourreau, et je n’en connais pas d’autre… »

Le vôtre, mon maître, est je ne sais où ; le mien est écrit là-haut ; chacun apprécie l’injure et le bienfait à sa manière ; et peut-être n’en portons-nous pas le même jugement dans deux instants de notre vie.

Le maître.

Après, maudit bavard, après…


Lorsque le maître de Jacques avait pris de l’humeur, Jacques se taisait, se mettait à rêver, et souvent ne rompait le silence que par un propos, lié dans son esprit, mais aussi décousu dans la conversation que la lecture d’un livre dont on aurait sauté quelques feuillets. C’est précisément ce qui lui arriva lorsqu’il dit : Mon cher maître…

Le maître.

Ah ! la parole t’est enfin revenue. Je m’en réjouis pour tous les deux, car je commençais à m’ennuyer de ne pas entendre, et toi de ne pas parler. Parle donc…