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lui pardonnait pas de lire Tacite et Newton. Si vous demandez pourquoi Clairaut et d’Alembert se haïssaient, et pourquoi, mal entre eux, ils étaient l’un et l’autre bien avec Fontaine, c’est que Fontaine est tout entier à la perfection de l’instrument, et que d’Alembert et Clairaut se contentaient d’en user de leur mieux. Fontaine est un charron qui cherche à perfectionner la charrue ; Clairaut et d’Alembert s’en tiennent à labourer avec la charrue, comme elle est.

Cette charrue a passé de mode, ainsi que nous avons vu parmi nous diverses sciences régner et passer successivement. Les métaphysiciens et les poëtes ont eu leur temps ; les physiciens systématiques leur ont succédé ; la physique systématique a fait place à la physique expérimentale ; celle-ci à la géométrie ; la géométrie à l’histoire naturelle et à la chimie, qui ont été en vogue dans ces derniers temps, et qui partagent les esprits avec les affaires de gouvernement, de commerce, de politique, et surtout la manie de l’agriculture, sans qu’on puisse deviner quelle sera la science que la légèreté nationale mettra à la mode par la suite. Tout homme, en ce pays-ci, qui n’a qu’un seul mérite, fût-il transcendant, s’expose, s’il vit longtemps, à voir sa considération s’éclipser, et à tomber du plus grand éclat dans l’obscurité la plus profonde ; l’homme prudent étaye le mérite de son métier de plusieurs mérites accidentels et de côté, qui le soutiennent en cas de révolution. C’est à quoi Clairaut n’avait pas songé : tout entier à ses x x, il ne lui restait presque plus rien de sa première célébrité, aujourd’hui qu’un géomètre a de la peine à trouver un libraire qui se charge de ses ouvrages, et ne trouve presque pas un lecteur qui les ouvre. La petite brochure in-12 de d’Alembert Sur la destruction des Jésuites, qui n’est rien, a fait plus de sensation à Paris que les trois ou quatre volumes in-4o d’opuscules mathématiques qu’il avait publiés auparavant, et qui marquent bien une autre tête. C’est que le goût est tourné vers les choses utiles, et que ce qu’il y a d’utile en géométrie peut s’apprendre en six mois ; le reste est de pure curiosité.

Il n’existe dans la nature ni surface sans profondeur, ni ligne sans largeur, ni point sans dimension, ni aucun corps qui ait cette régularité hypothétique du géomètre. Dès que la question qu’on lui propose le fait sortir de la rigueur de ses suppo-