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pousse en tout à des jouissances moins communes, dans une recherche de volupté plus facile à concevoir qu’honnête à expliquer, peut-être dans une conformation d’organes qui établissait plus de proportion entre un homme et un homme américains, qu’entre un homme américain et une femme américaine ; disproportion qui développerait également et le dégoût des Américains pour leurs femmes et le goût des Américaines pour les Européens. D’ailleurs ces chasses, qui séparaient quelquefois pendant des mois entiers l’homme de la femme, ne tendaient-elles pas à rapprocher l’homme de l’homme ? Le reste n’est plus que la suite d’une passion générale et violente qui foule aux pieds, même dans les contrées policées, l’honneur, la vertu, la décence, la probité, les lois du sang, le sentiment patriotique, parce que la nature, qui a tout ordonné pour la conservation de l’espèce, a peu veillé à celle des individus ; sans compter qu’il est des actions auxquelles les peuples policés ont avec raison attaché des idées de moralité tout à fait étrangères à des sauvages.


DE L’ANTHROPOPHAGIE.


L’anthropophagie est aussi le penchant ou la maladie dont quelques individus bizarres sont attaqués, même parmi les sauvages les plus doux. Ces espèces d’assassins ou de maniaques, comme il vous plaira de les nommer, se retirent de leur horde, se cantonnent seuls dans un coin de forêt, attendent le passant, comme le chasseur ou le sauvage même attendrait une bête à la rentrée ou à l’affût, le tirent, le tuent, se jettent sur le cadavre et le dévorent.

Lorsque ce n’est pas une maladie, je crois que l’essai de la chair humaine dans les sacrifices des prisonniers, et la paresse, peuvent être comptés parmi les causes de cette anthropophagie particulière. L’homme policé vit de son travail, l’homme sauvage vit de sa chasse. Voler parmi nous est la manière la plus courte et la moins pénible d’acquérir ; tuer son semblable et le manger, quand on le trouve bon, est la chasse la moins pénible d’un sauvage : on a bien plus tôt tué un homme qu’un animal. Un paresseux veut avoir parmi nous de l’argent sans prendre la