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je n’aurai pas une pareille aubaine. Vous m’avez l’air d’un galant homme, et j’aimerais mieux que vous en profitassiez qu’un autre… »

Tout en causant, le mercier avait mis sa balle à terre, l’avait ouverte, et en avait tiré la montre que Jacques reconnut sur-le-champ, sans en être étonné ; car s’il ne se pressait jamais, il s’étonnait rarement. Il regarde bien la montre : Oui, se dit-il en lui-même, c’est elle… Au porteballe : « Vous avez raison, elle est belle, très belle, et je sais qu’elle est bonne… » Puis la mettant dans son gousset il dit au porteballe : « L’ami, grand merci !

— Comment, grand merci !

— Oui, c’est la montre de mon maître.

— Je ne connais point votre maître, cette montre est à moi, je l’ai achetée et bien payée… »

Et saisissant Jacques au collet, il se mit en devoir de lui reprendre la montre. Jacques s’approche de son cheval, prend un de ses pistolets, et l’appuyant sur la poitrine du porteballe : « Retire-toi, lui dit-il, ou tu es mort. » Le porteballe effrayé lâche prise. Jacques remonte sur son cheval et s’achemine au petit pas vers la ville, en disant en lui-même : « Voilà la montre recouvrée, à présent voyons à notre bourse… » Le porteballe se hâte de refermer sa malle, la remet sur ses épaules, et suit Jacques en criant : « Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au secours ! à moi ! à moi !… » C’était dans la saison des récoltes : les champs étaient couverts de travailleurs. Tous laissent leurs faucilles, s’attroupent autour de cet homme, et lui demandent où est le voleur, où est l’assassin.

« Le voilà, le voilà là-bas.

— Quoi ! celui qui s’achemine au petit pas vers la porte de la ville ?

— Lui-même.

— Allez, vous êtes fou, ce n’est point là l’allure d’un voleur.

— C’en est un, c’en est un, vous dis-je, il m’a pris de force une montre d’or… »

Ces gens ne savaient à quoi s’en rapporter, des cris du porteballe ou de la marche tranquille de Jacques. « Cependant, ajoutait le porteballe, mes enfants, je suis ruiné si vous ne me secourez ; elle vaut trente louis comme un liard. Secourez-moi,