Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/323

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Intimement.

— Ne fait-il pas sa cour à la comtesse de Grammont ?

— Assidûment.

— N’y a-t-il pas sur son compte ?…

— Oui, une certaine histoire de Bordeaux ; mais je n’y crois pas. On est si méchant dans ce pays-ci ; on y fait tant de contes ; il y a tant de coquins intéressés à multiplier le nombre de leurs semblables !

— Vous a-t-il lu sa Révolution de Russie ?

— Oui.

— Qu’en pensez-vous ?

— Que c’est un roman historique assez bien écrit et très-intéressant, un tissu de mensonges et de vérités que nos neveux compareront à un chapitre de Tacite[1]. »

Et voilà, me dites-vous, qu’au lieu de vous avoir éclairci un passage d’Horace, je vous ai presque fait une satire à la manière de Perse. — Il est vrai. — Et que vous croyez que je vous en tiens quitte ? — Non.

Vous connaissez Burigny ?

— Qui ne connaît pas l’ancien, l’honnête, le savant et fidèle serviteur de Mme Geoffrin ?

— C’est un très-bon et très-savant homme[2].

— Un peu curieux.

— D’accord.

— Fort gauche.

— Il en est d’autant meilleur. Il faut toujours avoir un petit ridicule qui amuse nos amis.

— Eh bien ! Burigny ?

— Je causais avec lui, je ne sais plus de quoi. Le hasard voulut qu’en causant je touchai sa corde favorite, l’érudition ; et voilà mon érudit qui m’interrompt, et se jette dans une digression qui ne finissait pas.

  1. C’est ici qu’il fallait nommer Rulhière, pour les quelques lecteurs qui ne l’auraient pas deviné, et non en tête de cette conversation, comme l’a fait Naigeon. Les Anecdotes sur les révolutions de Russie tourmentèrent longtemps Catherine II, qui chercha par tous les moyens à les supprimer. Elles ne parurent qu’après sa mort. On verra dans la Correspondance comment Diderot évita à la princesse Daschkoff une visite de cet homme, visite compromettante pour une amie de l’impératrice.
  2. Jean Levesque de Burigny (1692-1785), historien, auteur de l’Examen critique des apologistes de la religion chrétienne (1766), attribué à Fréret.