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sont surchargés, fait une sortie contre le ministre de la finance, ajoute qu’il s’en est expliqué nettement en 1750 avec le contrôleur général. Je vois donc qu’il a été agent du clergé. Dans le courant de la conversation, il me fait entendre qu’il n’a tenu qu’à lui d’être évêque. Je le crois homme de qualité ; mais comme il se vante plusieurs fois d’un vieil oncle lieutenant général, et qu’il ne dit pas un mot de son père, je suis sûr que c’est un homme de fortune qui a dit une sottise. Comme il me conte les anecdotes scandaleuses de huit ou dix évêques, je ne doute pas qu’il ne soit méchant. Enfin, il a obtenu, malgré bien des concurrents, l’intendance de *** pour son frère. Vous conviendrez que si l’on m’eût dit, en me mettant à table : c’est un janséniste, sans naissance, insolent, intrigant, qui déteste ses confrères, qui en est détesté, enfin, c’est l’abbé de *** ; on ne m’aurait rien appris de plus que j’en ai su, et qu’on m’aurait privé du plaisir de la découverte. »

La foule commençait à s’éclaircir dans la grande allée. Mon homme tire sa montre, et me dit : « Il est tard, il faut que je vous quitte, à moins que vous ne veniez souper avec moi.

— Où ?

— Ici près, chez Arnould.

— Je ne la connais pas.

— Est-ce qu’il faut connaître une fille pour aller souper chez elle ? Du reste, c’est une créature charmante, qui a le ton de son état et celui du grand monde. Venez, vous vous amuserez.

— Non, je vous suis obligé ; mais, comme je vais de ce côté, je vous accompagnerai jusqu’au cul-de-sac Dauphin… »

Nous allons, et en allant il m’apprend quelques plaisanteries cyniques d’Arnould, et quelques-uns de ses mots ingénus et délicats[1]. Il me parle de tous ceux qui fréquentent là ; et chacun d’eux eut son mot… Appliquant à cet homme même les principes que j’en avais reçus, moi, je vois qu’il fréquente dans de la bonne et de la mauvaise compagnie… « Ne fait-il pas des vers ? me demandez-vous…

— Très-bien.

— N’a-t-il pas été lié avec le maréchal de Richelieu ?

  1. On peut s’édifier sur ce point au moyen du livre de MM. de Goncourt : Sophie Arnould. Poulet-Malassis, 1857, in-18.