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LETTRE À M. L’ABBÉ GALIANI.

plus dépravés, et de plus en plus malheureux, jusqu’au temps où il écrit et qui sera suivi d’une race la plus méchante de toutes ?

Si les Romains n’ont été que des scélérats depuis leur origine jusqu’aux jours d’Horace, c’est une sottise d’ajouter :

Non his juventus orta parentibus
Infecit aequor sanguine punico
.

Un contemporain du poëte, s’il avait eu de l’humeur, n’eût pas manqué de lui répliquer : "Mon ami, tâchez de vous accorder avec vous -même. Ou nos premiers aïeux ne valaient pas mieux que nous ; ils avaient leurs vices comme nous avons les nôtres, et il est ridicule de nous en faire des modèles ; ou s’ils étaient d’honnêtes gens, des hommes remplis de respect pour les dieux, pourquoi serons-nous châtiés de leurs fautes ? Nous vous laisserions volontiers radoter avant l’âge et rabâcher l’éloge du passé ; mais nous ne pouvons vous dispenser d’avoir de la logique, tout poëte et tout grand poëte que vous soyez. »

Nous ne sommes pas d’accord, mon antagoniste et moi, sur le mot majores. Je crois que, dans la famille, il comprend en général les pères, les grands-pères, les aïeux, les bisaïeux, les trisaïeux, πρωτόγονοι (protogonoi), tous les ascendants à l’infini. Mais il me semble que dans la nation et dans l’ode d’Horace, il ne s’entend que des Anciens, des temps héroïques, des premiers Romains, des fondateurs de la république, de l’ère des Régulus, des Fabricius, des Camille, de ceux qui ont élevé des temples aux dieux ; ces vieux édifices sacrés, que leurs derniers descendants laissent tomber en ruine, et depuis le siècle desquels les races ont toujours dégénéré. En conséquence, je demande comment ces religieux adorateurs ont-ils été coupables ; et comment leurs neveux, de plus en plus dissolus, et leurs derniers neveux, les contemporains du poëte, les plus dissolus de tous, sont-ils innocents ?

L’expression more majorum, si fréquente dans les orateurs et les historiens, ne s’est jamais prise en mauvaise part, et ne s’est jamais entendue que des siècles reculés du bon vieux temps.

Nous n’appellerons pas les contemporains de Henri IV,