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Je pense que cette version contredit le but de l’auteur, détruit la clarté du poëme, et y répand un air de galimatias indigne d’un écrivain aussi élégant et aussi judicieux qu’Horace.

Je prétends qu’il faut rapporter majorum à immeritus, et non pas à delicta, et qu’il faut traduire : « Romain, indigne de tes ancêtres, tu seras châtié de tes forfaits, tant que tu ne relèveras pas, etc. »

Je soutiens que l’expression immeritus majorum est tout à fait selon le génie et la syntaxe de la langue latine, et qu’elle est autorisée par le sens de l’auteur qu’elle éclaircit, et par l’analogie qui a présidé à la formation de toutes les langues.

Il n’y a peut-être pas une ode dans Horace et dans aucun autre poëte dont le but soit plus évident, et où le poëte s’y achemine plus droit. Dès l’exorde, on conçoit que le projet d’Horace est de ramener ses concitoyens dissolus aux vertus de leurs premiers ancêtres. Entre ces vertus, la principale est crainte des dieux. « Vous serez châtiés, leur dit-il, tant que vous ne rendrez pas aux dieux ce qui leur est dû. Vous laissez tomber en ruine les édifices sacrés que vos aïeux ont élevés. Les simulacres des immortels sont noircis et déshonorés par la fumée. Cependant, si vous êtes grands, c’est que vous avez reconnu la supériorité des immortels. Les immortels sont les auteurs de tout. Ce sont les distributeurs de la bonne et de la mauvaise fortune. Voyez la foule des maux que votre impiété a attirés sur vous ; car, ne vous y trompez pas, c’est de là que sont venues, et les dissensions intestines dont vous avez été déchirés, et les défaites honteuses que vous avez éprouvées au loin. » De l’ignominie publique il passe à l’infamie des mœurs particulières, à la turpitude des mariages qui ne produisent plus qu’une race abâtardie, et à la mauvaise éducation qui s’est jointe au vice des naissances pour combler la misère.

Mais comme le poëte n’a sondé la profondeur de la plaie que pour en indiquer le remède, le plus simple et le plus salutaire, à son avis, ce serait de prendre pour soi-même, et de proposer aux enfants pour modèle, cette vigoureuse jeunesse qui teignit les flots du sang des Carthaginois, qui chassa Annibal, qui défit Pyrrhus et lia les bras sur le dos aux soldats d’Antiochus. Un moraliste didactique eût montré la dépravation s’accroissant, et les malheurs s’accumulant d’âge en âge, depuis