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Fataliste, les fers aux pieds et aux mains, étendu sur la paille au fond d’un cachot obscur, se rappelant tout ce qu’il avait retenu des principes de la philosophie de son capitaine, et n’étant pas éloigné de croire qu’il regretterait peut-être un jour cette demeure humide, infecte, ténébreuse, où il était nourri de pain noir et d’eau, et où il avait ses pieds et ses mains à défendre contre les attaques des souris et des rats. On nous apprend qu’au milieu de ses méditations les portes de sa prison et de son cachot sont enfoncées ; qu’il est mis en liberté avec une douzaine de brigands, et qu’il se trouve enrôlé dans la troupe de Mandrin. Cependant la maréchaussée, qui suivait son maître à la piste, l’avait atteint, saisi et constitué dans une autre prison. Il en était sorti par les bons offices du commissaire qui l’avait si bien servi dans sa première aventure, et il vivait retiré depuis deux ou trois mois dans le château de Desglands, lorsque le hasard lui rendit un serviteur presque aussi essentiel à son bonheur que sa montre et sa tabatière. Il ne prenait pas une prise de tabac, il ne regardait pas une fois l’heure qu’il était, qu’il ne dît en soupirant : « Qu’es-tu devenu, mon pauvre Jacques !… » Une nuit le château de Desglands est attaqué par les Mandrins ; Jacques reconnaît la demeure de son bienfaiteur et de sa maîtresse ; il intercède et garantit le château du pillage. On lit ensuite le détail pathétique de l’entrevue inopinée de Jacques, de son maître, de Desglands, de Denise et de Jeanne.

« C’est toi, mon ami !

— C’est vous, mon cher maître !

— Comment t’es-tu trouvé parmi ces gens-là ?

— Et vous, comment se fait-il que je vous rencontre ici ?

— C’est vous, Denise ?

— C’est vous, monsieur Jacques ? Combien vous m’avez fait pleurer !… »

Cependant Desglands criait : « Qu’on apporte des verres et du vin ; vite, vite : c’est lui qui nous a sauvé la vie à tous… »

Quelques jours après, le vieux concierge du château décéda ; Jacques obtient sa place et épouse Denise, avec laquelle il s’occupe à susciter des disciples à Zénon et à Spinoza, aimé de Desglands, chéri de son maître et adoré de sa femme ; car c’est ainsi qu’il était écrit là-haut.