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se boudaient en effet. Jacques avait tout mis en œuvre pour résoudre Denise à le rendre heureux et Denise avait tenu ferme. Après ce long silence Jacques, pleurant à chaudes larmes, lui dit d’un ton dur et amer : « C’est que vous ne m’aimez pas… » Denise, dépitée, se lève, le prend par le bras, le conduit brusquement vers le bord du lit, s’y assied, et lui dit : « Eh bien ! monsieur Jacques, je ne vous aime donc pas ? Eh bien, monsieur Jacques, faites de la malheureuse Denise tout ce qu’il vous plaira… » Et en disant ces mots, la voilà fondant en pleurs et suffoquée par ses sanglots.

Dites-moi, lecteur, ce que vous eussiez fait à la place de Jacques ? Rien. Eh bien ! c’est ce qu’il fit. Il reconduisit Denise sur sa chaise, se jeta à ses pieds, essuya les pleurs qui coulaient de ses yeux, lui baisa les mains, la consola, la rassura, crut qu’il en était tendrement aimé, et s’en remit à sa tendresse sur le moment qu’il lui plairait de récompenser la sienne. Ce procédé toucha sensiblement Denise.

On objectera peut-être que Jacques, aux pieds de Denise, ne pouvait guère lui essuyer les yeux… à moins que la chaise ne fût fort basse. Le manuscrit ne le dit pas ; mais cela est à supposer.

Voici le second paragraphe, copié de la vie de Tristram Shandy[1], à moins que l’entretien de Jacques le Fataliste et de son maître ne soit antérieur à cet ouvrage, et que le ministre Sterne ne soit le plagiaire, ce que je ne crois pas, mais par une estime toute particulière de M. Sterne, que je distingue de la plupart des littérateurs de sa nation, dont l’usage assez fréquent est de nous voler et de nous dire des injures[2].

Une autre fois, c’était le matin, Denise était venue panser Jacques. Tout dormait encore dans le château, Denise s’approcha en tremblant. Arrivée à la porte de Jacques, elle s’arrêta, incertaine si elle entrerait ou non. Elle entra en tremblant ; elle demeura assez longtemps à côté du lit de Jacques sans oser ouvrir les rideaux. Elle les entr’ouvrit doucement ; elle dit bonjour à Jacques en tremblant ; elle s’informa de sa nuit et de sa santé

  1. Voyez Notice préliminaire, p. 6.
  2. Voltaire, dans une lettre qui fait partie du premier volume publié en 1820 par la Société des Bibliophiles français, a dit aussi : Je connais de réputation Aaron Hill ; c’est un digne Anglais ; il nous pille et il dit du mal de ceux qu’il vole. Cette lettre, adressée à l’abbé Raynal, est du 30 juillet 1749. (Br.)