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assommer que de donner un coup de collier ou que de souffrir un sac sur son dos. Messieurs, auriez-vous la charité de me débarrasser de ce maudit animal-là ? Il est beau, mais il n’est bon à rien qu’à piaffer sous un cavalier, et ce n’est pas là mon affaire… » On lui proposa un échange avec celui des deux autres qui lui conviendrait le mieux ; il y consentit, et nos deux voyageurs revinrent au petit pas à l’endroit où ils s’étaient reposés, et d’où ils virent, avec satisfaction, le cheval qu’ils avaient cédé au laboureur se prêter sans répugnance à son nouvel état.

Jacques.

Eh bien ! monsieur ?

Le maître.

Eh bien ! rien n’est plus sûr que tu es inspiré ; est-ce de Dieu, est-ce du diable ? Je l’ignore. Jacques, mon cher ami, je crains que vous n’ayez le diable au corps.

Jacques.

Et pourquoi le diable ?

Le maître.

C’est que vous faites des prodiges, et que votre doctrine est fort suspecte.

Jacques.

Et qu’est ce qu’il y a de commun entre la doctrine que l’on professe et les prodiges qu’on opère ?

Le maître.

Je vois que vous n’avez pas lu dom la Taste[1].

Jacques.

Et ce dom la Taste que je n’ai pas lu, que dit-il ?

Le maître.

Il dit que Dieu et le diable font également des miracles.

Jacques.

Et comment distingue-t-il les miracles de Dieu des miracles du diable ?

  1. La Taste (dom Louis), bénédictin, évêque de Bethléem, né à Bordeaux, mort à Saint-Denis en 1754, a soutenu, dans ses Lettres théologiques aux écrivains défenseurs des convulsions et autres miracles du temps (Paris, 1733, in-4o), que les diables peuvent faire des miracles bienfaisants et des guérisons miraculeuses pour introduire ou autoriser l’erreur ou le vice. (Br.) — C’est la doctrine professée de nos jours par les de Mirville, P. Ventura, Gougenot des Mousseaux, Bizouard, etc.