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Le maître.

Et parce que tu l’ignores, tu crois qu’elles ne servent à rien ? La nature n’a rien fait d’inutile et de superflu.

Jacques.

Je le crois ; car puisqu’une chose est, il faut qu’elle soit.

Le maître.

Quand tu as ou trop de sang ou du mauvais sang, que fais-tu ? Tu appelles un chirurgien, qui t’en ôte deux ou trois palettes. Eh bien ! ces cousins, dont tu te plains, sont une nuée de petits chirurgiens ailés qui viennent avec leurs petites lancettes te piquer et te tirer du sang goutte à goutte.

Jacques.

Oui, mais à tort et à travers, sans savoir si j’en ai trop ou trop peu. Faites venir ici un étique, et vous verrez si les petits chirurgiens ailés ne le piqueront pas. Ils songent à eux ; et tout dans la nature songe à soi et ne songe qu’à soi. Que cela fasse du mal aux autres, qu’importe, pourvu qu’on s’en trouve bien ?…

Ensuite, il refrappait en l’air de ses deux mains, et il disait : Au diable les petits chirurgiens ailés !

Le maître.

Connais-tu la fable de Garo[1] ?

Jacques.

Oui.

Le maître.

Comment la trouves-tu ?

Jacques.

Mauvaise.

Le maître.

C’est bientôt dit.

Jacques.

Et bientôt prouvé. Si au lieu de glands, le chêne avait porté des citrouilles, est-ce que cette bête de Garo se serait endormi sous un chêne ? Et s’il ne s’était pas endormi sous un chêne, qu’importait au salut de son nez qu’il en tombât des citrouilles ou des glands ? Faites lire cela à vos enfants.

  1. Le Gland et la Citrouille, La Fontaine, liv. XI, fable iv.