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prétendît, et ce furent des détails qui ne finissaient point sur les talents, perfections, commodités d’Agathe. Le chevalier ajoutait avec un art incroyable l’ivresse de la passion à celle du vin. Le moment de l’aventure ou de la vengeance nous paraissait arriver lentement ; cependant nous sortîmes de table. Le chevalier paya ; c’est la première fois que cela lui arrivait. Nous montâmes dans notre voiture ; nous étions ivres ; notre cocher et nos valets l’étaient encore plus que nous.


Lecteur, qui m’empêcherait de jeter ici le cocher, les chevaux, la voiture, les maîtres et les valets dans une fondrière ? Si la fondrière vous fait peur, qui m’empêcherait de les amener sains et saufs dans la ville où j’accrocherais leur voiture à une autre, dans laquelle je renfermerais d’autres jeunes gens ivres ? Il y aurait des mots offensants de dits, une querelle, des épées tirées, une bagarre dans toutes les règles. Qui m’empêcherait, si vous n’aimez pas les bagarres, de substituer à ces jeunes gens Mlle  Agathe, avec une de ses tantes ? Mais il n’y eut rien de tout cela. Le chevalier et le maître de Jacques arrivèrent à Paris. Celui-ci prit les vêtements du chevalier. Il est minuit, ils sont sous les fenêtres d’Agathe ; la lumière s’éteint ; le pot de basilic est à sa place. Ils font encore un tour d’un bout à l’autre de la rue, le chevalier recordant à son ami sa leçon. Ils approchent de la porte, le chevalier l’ouvre, introduit le maître de Jacques, garde le passe-partout de la rue, lui donne la clef du corridor, referme la porte d’entrée, s’éloigne, et après ce petit détail fait avec laconisme, le maître de Jacques reprit la parole et dit :

« Le local m’était connu. Je monte sur la pointe des pieds, j’ouvre la porte du corridor, je la referme, j’entre dans la garde-robe, où je trouvai la petite lampe de nuit ; je me déshabille ; la porte de la chambre était entr’ouverte, je passe ; je vais à l’alcôve, où Agathe ne dormait pas. J’ouvre les rideaux ; et à l’instant je sens deux bras nus se jeter autour de moi et m’attirer ; je me laisse aller, je me couche, je suis accablé de caresses, je les rends. Me voilà le mortel le plus heureux qu’il y ait au monde ; je le suis encore lorsque… »

Lorsque le maître de Jacques s’aperçut que Jacques dormait ou faisait semblant de dormir : « Tu dors, lui dit-il, tu dors,