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— Parlez, mon ami, ordonnez, dites ; faut-il me jeter par la fenêtre, me pendre, me noyer, m’enfoncer ce couteau dans la poitrine ?… »

Et à l’instant le chevalier saisit un couteau qui était sur la table, détache son col, écarte sa chemise, et, les yeux égarés, se place la pointe du couteau de la main droite à la fossette de la clavicule gauche, et semble n’attendre que mon ordre pour s’expédier à l’antique.

« Il ne s’agit pas de cela, chevalier, laissez là ce mauvais couteau.

— Je ne le quitte pas, c’est ce que je mérite ; faites signe.

— Laissez là ce mauvais couteau, vous dis-je, je ne mets pas votre expiation à si haut prix… » Cependant la pointe du couteau était toujours suspendue sur la fossette de la clavicule gauche ; je lui saisis la main, je lui arrachai son couteau que je jetai loin de moi, puis approchant la bouteille de son verre, et versant plein, je lui dis : « Buvons d’abord ; et vous saurez ensuite à quelle terrible condition j’attache votre pardon. Agathe est donc bien succulente, bien voluptueuse ?

— Ah ! mon ami, que ne le savez-vous comme moi !

— Mais attends, il faut qu’on nous apporte une bouteille de champagne, et puis tu me feras l’histoire d’une de tes nuits. Traître charmant, ton absolution est à la fin de cette histoire. Allons, commence : est-ce que tu ne m’entends pas ?

— Je vous entends.

— Ma sentence te paraît-elle trop dure ?

— Non.

— Tu rêves ?

— Je rêve !

— Que t’ai-je demandé ?

— Le récit d’une de mes nuits avec Agathe.

— C’est cela. »

Cependant le chevalier me mesurait de la tête aux pieds, et se disait à lui-même : « C’est la même taille, à peu près le même âge ; et quand il y aurait quelque différence, point de lumière, l’imagination prévenue que c’est moi, elle ne soupçonnera rien…

— Mais, chevalier, à quoi penses-tu donc ? ton verre reste plein, et tu ne commences pas !

— Je pense, mon ami, j’y ai pensé, tout est dit : embrassez-