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les amitiés que ma nièce lui a faites ! les politesses dont je l’ai comblé ! tant de protestations d’attachement que nous en avons reçues ! et puis fiez-vous aux hommes !… Après cela, ouvrez votre maison à ceux qui se présentent !… Croyez aux amis !

— Et Agathe ?

— La consternation y est, c’est moi qui t’en assure.

— Et Agathe ?

— Agathe me tire à l’écart, et dit : Chevalier, concevez-vous quelque chose à votre ami ? Vous m’avez assurée tant de fois que j’en étais aimée ; vous le croyiez, sans doute, et pourquoi ne l’auriez-vous pas cru ? Je le croyais bien, moi… Et puis elle s’interrompt, sa voix s’altère, ses yeux se mouillent… Eh bien ! ne voilà-t-il pas que tu en fais autant ! Je ne te dirai plus rien, cela est décidé. Je vois ce que tu désires, mais il n’en sera rien, absolument rien. Puisque tu as fait la sottise de te retirer sans rime ni raison, je ne veux pas que tu la doubles en allant te jeter à leur tête. Il faut tirer parti de cet incident pour avancer tes affaires avec Mlle Agathe ; il faut qu’elle voie qu’elle ne te tient pas si bien qu’elle ne puisse te perdre, à moins qu’elle ne s’y prenne mieux pour te garder. Après ce que tu as fait, en être encore à lui baiser la main ! Mais là, chevalier, la main sur la conscience, nous sommes amis ; et tu peux, sans indiscrétion, t’expliquer avec moi ; vrai, tu n’en as jamais rien obtenu ?

— Non.

— Tu mens, tu fais le délicat.

— Je le ferais peut-être, si j’en avais raison ; mais je te jure que je n’ai pas le bonheur de mentir.

— Cela est inconcevable, car enfin tu n’es pas maladroit. Quoi ! on n’a pas eu le moindre petit moment de faiblesse ?

— Non.

— C’est qu’il sera venu, que tu ne l’auras pas aperçu, et que tu l’auras manqué. J’ai peur que tu n’aies été un peu benêt ; les gens honnêtes, délicats et tendres comme toi, y sont sujets.

— Mais vous, chevalier, lui dis-je, que faites-vous là ?

— Rien.

— Vous n’avez point eu de prétentions ?