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répondit que, l’affaire étant en justice réglée, la police n’y pouvait rien. Le prêteur sur gages à qui Mathieu avait confié les deux boîtes fit assigner Mathieu. J’intervins dans ce procès. Les frais de justice furent si énormes, qu’après la vente de la montre et des boîtes, il s’en manquait encore cinq ou six cents francs qu’il n’y eût de quoi tout payer.


Vous ne croirez pas cela, lecteur. Et si je vous disais qu’un limonadier, décédé il y a quelque temps dans mon voisinage, laissa deux pauvres orphelins en bas âge. Le commissaire se transporte chez le défunt ; on appose un scellé. On lève ce scellé, on fait un inventaire, une vente ; la vente produit huit à neuf cents francs. De ces neuf cents francs, les frais de justice prélevés, il reste deux sous pour chaque orphelin ; on leur met à chacun ces deux sous dans la main, et on les conduit à l’hôpital.

Le maître.

Cela fait horreur.

Jacques.

Et cela dure.

Le maître.

Mon père mourut dans ces entrefaites. J’acquittai les lettres de change, et je sortis de ma retraite, où, pour l’honneur du chevalier et de mon amie, j’avouerai qu’ils me tinrent assez fidèle compagnie.

Jacques.

Et vous voilà tout aussi féru[1] qu’auparavant du chevalier et de votre belle ; votre belle vous tenant la dragée plus haute que jamais.

Le maître.

Et pourquoi cela, Jacques ?

Jacques.

Pourquoi ? C’est que maître de votre personne et possesseur d’une fortune honnête, il fallait faire de vous un sot complet, un mari.

  1. Féru, vieux mot ; frappé, entiché.
    Je suis féru, j’en ai dans l’aile.
    Poésies de Saint-Amand (Br.).