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Jacques.

Je n’y crois ni décrois ; je n’y pense pas. Je jouis de mon mieux de celle qui nous a été accordée en avancement d’hoirie.

Le maître.

Pour moi, je me regarde comme en chrysalide ; et j’aime à me persuader que le papillon, ou mon âme, venant un jour à percer sa coque, s’envolera à la justice divine[1].

Jacques.

Votre image est charmante.

Le maître.

Elle n’est pas de moi ; je l’ai lue, je crois, dans un poète italien appelé Dante, qui a fait un ouvrage intitulé : la Comédie de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis[2].

Jacques.

Voilà un singulier sujet de comédie !

Le maître.

Il y a, pardieu, de belles choses, surtout dans son enfer. Il enferme les hérésiarques dans des tombeaux de feu, dont la flamme s’échappe et porte le ravage au loin ; les ingrats, dans des niches où ils versent des larmes qui se glacent sur leurs visages ; et les paresseux, dans d’autres niches ; et il dit de ces derniers que le sang s’échappe de leurs veines, et qu’il est recueilli par des vers dédaigneux… Mais à quel propos ta sortie contre notre mépris d’une vie que nous craignons de perdre ?

Jacques.

À propos de ce que le secrétaire du marquis des Arcis m’a raconté du mari de la jolie femme au cabriolet.

Le maître.

Elle est veuve !

Jacques.

Elle a perdu son mari dans un voyage qu’elle a fait à Paris ; et le diable d’homme ne voulait pas entendre parler des sacre-

  1. Sterne a dit dans ses Mémoires : « Consulte une chenille, et le papillon résoudra ta question. » (Br.)
  2. « Non v’acorgete voi che noi siam vermi
    Nati a formar l’angelica farfalla
    Che vola alla giustizia senza achermi ? »

    Dante Alighieri, Purgatorio, canto X, v. 123. (Br.)