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en prévenir cent autres par quelque arrangement raisonnable ?

Le maître.

J’y consens.

Jacques.

Stipulons : 1o qu’attendu qu’il est écrit là-haut que je vous suis essentiel, et que je sens, que je sais que vous ne pouvez pas vous passer de moi, j’abuserai de ces avantages toutes et quantes fois que l’occasion s’en présentera.

Le maître.

Mais, Jacques, on n’a jamais rien stipulé de pareil.

Jacques.

Stipulé ou non stipulé, cela s’est fait de tous les temps, se fait aujourd’hui, et se fera tant que le monde durera. Croyez-vous que les autres n’aient pas cherché comme vous à se soustraire à ce décret, et que vous serez plus habile qu’eux ? Défaites-vous de cette idée, et soumettez-vous à la loi d’un besoin dont il n’est pas en votre pouvoir de vous affranchir.

Stipulons : 2o qu’attendu qu’il est aussi impossible à Jacques de ne pas connaître son ascendant et sa force sur son maître, qu’à son maître de méconnaître sa faiblesse et de se dépouiller de son indulgence, il faut que Jacques soit insolent, et que, pour la paix, son maître ne s’en aperçoive pas. Tout cela s’est arrangé à notre insu, tout cela fut scellé là-haut au moment où la nature fit Jacques et son maître. Il fut arrêté que vous auriez le titre, et que j’aurais la chose. Si vous vouliez vous opposer à la volonté de nature, vous n’y feriez que de l’eau claire.

Le maître.

Mais, à ce compte, ton lot vaudrait mieux que le mien.

Jacques.

Qui vous le dispute ?

Le maître.

Mais, à ce compte, je n’ai qu’à prendre ta place et te mettre à la mienne.

Jacques.

Savez-vous ce qui en arriverait ? Vous y perdriez le titre, et vous n’auriez pas la chose. Restons comme nous sommes, nous sommes fort bien tous deux ; et que le reste de notre vie soit employé à faire un proverbe.