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en étais à je ne sais quelle proposition malhonnête de la femme du chirurgien ; il s’agissait, je crois, d’expulser celui qui servait au château et d’y installer son mari.

Jacques.

M’y voilà ; mais un moment, s’il vous plaît. Humectons.

Jacques remplit un grand gobelet de tisane, y versa un peu de vin blanc et l’avala. C’était une recette qu’il tenait de son capitaine et que M. Tissot, qui la tenait de Jacques, recommande dans son traité des maladies populaires[1]. Le vin blanc, disaient Jacques et M. Tissot, fait pisser, est diurétique, corrige la fadeur de la tisane et soutient le ton de l’estomac et des intestins. Son verre de tisane bu, Jacques continua :

Me voilà sorti de la maison du chirurgien, monté dans la voiture, arrivé au château et entouré de tous ceux qui l’habitaient.

Le maître.

Est-ce que tu y étais connu ?

Jacques.

Assurément ! Vous rappelleriez-vous une certaine femme à la cruche d’huile ?

Le maître.

Fort bien !

Jacques.

Cette femme était la commissionnaire de l’intendant et des domestiques. Jeanne avait prôné dans le château l’acte de commisération que j’avais exercé envers elle ; ma bonne œuvre était parvenue aux oreilles du maître : on ne lui avait pas laissé ignorer les coups de pied et de poing dont elle avait été récompensée la nuit sur le grand chemin. Il avait ordonné qu’on me découvrît et qu’on me transportât chez lui. M’y voilà. On me regarde ; on m’interroge, on m’admire. Jeanne m’embrassait et me remerciait. « Qu’on le loge commodément, disait le maître à ses gens, et qu’on ne le laisse manquer de rien » ; au chirurgien de la maison : « Vous le visiterez avec assiduité… » Tout fut exécuté de point en point. Eh bien ! mon maître, qui sait ce

  1. Tissot, médecin suisse, né en 1727, mourut à Lausanne le 15 juin 1797. Le livre auquel Diderot fait allusion est l’Avis au peuple sur sa santé (1761), qui a eu de nombreuses éditions.