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qu’elles m’ont écrit de votre persécution avec amertume, et voilà leur lettre… »

La lettre qu’on donnait à lire au marquis avait été concertée entre elles. C’était la d’Aisnon fille qui paraissait l’avoir écrite par ordre de sa mère : et l’on y avait mis, d’honnête, de doux, de touchant, d’élégance et d’esprit, tout ce qui pouvait renverser la tête du marquis. Aussi en accompagnait-il chaque mot d’une exclamation ; pas une phrase qu’il ne relût ; il pleurait de joie ; il disait à Mme de La Pommeraye : « Convenez donc, madame, qu’on n’écrit pas mieux que cela.

Madame de La Pommeraye.

J’en conviens.

Le marquis.

Et qu’à chaque ligne on se sent pénétré d’admiration et de respect pour des femmes de ce caractère !

Madame de La Pommeraye.

Cela devrait être.

Le marquis.

Je vous tiendrai ma parole ; mais songez, je vous en supplie, à ne pas manquer à la vôtre.

Madame de La Pommeraye.

En vérité, marquis je suis aussi folle que vous. Il faut que vous ayez conservé un terrible empire sur moi ; cela m’effraye.

Le marquis.

Quand la verrai-je ?

Madame de La Pommeraye.

Je n’en sais rien. Il faut s’occuper premièrement du moyen d’arranger la chose, et d’éviter tout soupçon. Elles ne peuvent ignorer vos vues ; voyez la couleur que ma complaisance aurait à leurs yeux, si elles s’imaginaient que j’agis de concert avec vous… Mais, marquis, entre nous, qu’ai-je besoin de cet embarras-là ? Que m’importe que vous aimiez, que vous n’aimiez pas ? que vous extravaguiez ? Démêlez votre fusée vous-même. Le rôle que vous me faites faire est aussi trop singulier.

Le marquis.

Mon amie, si vous m’abandonnez, je suis perdu ! Je ne vous parlerai point de moi, puisque je vous offenserais ; mais je vous