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L’hôtesse.

Allez, allez, monsieur Jacques, la cave n’est pas vide… Voici ce précis, ou ce que j’en ai retenu :

« Vous ne fréquenterez point les promenades publiques, car il ne faut pas qu’on vous découvre.

« Vous ne recevrez personne, pas même vos voisins et vos voisines, parce qu’il faut que vous affectiez la plus profonde retraite.

« Vous prendrez, dès demain, l’habit de dévotes, parce qu’il faut qu’on vous croie telles.

« Vous n’aurez chez vous que des livres de dévotion, parce qu’il ne faut rien autour de vous qui puisse vous trahir.

« Vous serez de la plus grande assiduité aux offices de la paroisse, jours de fêtes et jours ouvrables.

« Vous vous intriguerez pour avoir entrée au parloir de quelque couvent ; le bavardage de ces recluses ne nous sera pas inutile.

« Vous ferez connaissance étroite avec le curé et les prêtres de la paroisse, parce que je puis avoir besoin de leur témoignage.

« Vous n’en recevrez d’habitude aucun.

« Vous irez à confesse et vous approcherez des sacrements au moins deux fois le mois.

« Vous reprendrez votre nom de famille, parce qu’il est honnête, et qu’on fera tôt ou tard des informations dans votre province.

« Vous ferez de temps en temps quelques petites aumônes, et vous n’en recevrez point, sous quelque prétexte que ce puisse être. Il faut qu’on ne vous croie ni pauvres ni riches.

« Vous filerez, vous coudrez, vous tricoterez, vous broderez, et vous donnerez aux dames de charité votre ouvrage à vendre.

« Vous vivrez de la plus grande sobriété ; deux petites portions d’auberge ; et puis c’est tout.

« Votre fille ne sortira jamais sans vous, ni vous sans elle. De tous les moyens d’édifier à peu de frais, vous n’en négligerez aucun.

« Surtout jamais chez vous, je vous le répète, ni prêtres, ni moines, ni dévotes.

« Vous irez dans les rues les yeux baissés ; à l’église, vous ne verrez que Dieu. »