Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Jacques.

Ah ! si cela avait été écrit là-haut !

L’hôtesse.

Cette femme vivait très retirée. Le marquis était un ancien ami de son mari ; elle l’avait reçu, et elle continuait de le recevoir. Si on lui pardonnait son goût efféminé pour la galanterie, c’était ce qu’on appelle un homme d’honneur. La poursuite constante du marquis, secondée de ses qualités personnelles, de sa jeunesse, de sa figure, des apparences de la passion la plus vraie, de la solitude, du penchant à la tendresse, en un mot, de tout ce qui nous livre à la séduction des hommes… (Madame ? — Qu’est-ce ? — C’est le courrier. — Mettez-le à la chambre verte, et servez-le à l’ordinaire.) eut son effet, et Mme  de La Pommeraye, après avoir lutté plusieurs mois contre le marquis, contre elle-même, exigé selon l’usage les serments les plus solennels, rendit heureux le marquis, qui aurait joui du sort le plus doux, s’il avait pu conserver pour sa maîtresse les sentiments qu’il avait jurés et qu’on avait pour lui. Tenez, monsieur, il n’y a que les femmes qui sachent aimer ; les hommes n’y entendent rien…(Madame ? — Qu’est-ce ? — Le Frère Quêteur. — Donnez-lui douze sous pour ces messieurs qui sont ici, six sous pour moi, et qu’il aille dans les autres chambres.) Au bout de quelques années, le marquis commença à trouver la vie de Mme  de La Pommeraye trop unie. Il lui proposa de se répandre dans la société : elle y consentit ; à recevoir quelques femmes et quelques hommes : et elle y consentit ; à avoir un dîner-souper : et elle y consentit. Peu à peu il passa un jour, deux jours sans la voir ; peu à peu il manqua au dîner-souper qu’il avait arrangé ; peu à peu il abrégea ses visites ; il eut des affaires qui l’appelaient : lorsqu’il arrivait, il disait un mot, s’étalait dans un fauteuil, prenait une brochure, la jetait, parlait à son chien ou s’endormait. Le soir, sa santé, qui devenait misérable, voulait qu’il se retirât de bonne heure : c’était l’avis de Tronchin. « C’est un grand homme que Tronchin[1] ! Ma foi !

  1. Nous empruntons à l’Histoire de la Vie et des Ouvrages de J.-J. Rousseau par M. V.-D. Musset-Pathay, Paris, 1821, t. II, p.320, une partie des renseignements que nous avons à donner sur ce médecin célèbre.

    Tronchin (Théodore), né à Genève en 1709, d’une ancienne famille originaire d’Avignon, mourut à Paris en 1781. Élève distingué de Boerhaave, il se fit bientôt