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que Jacques ne soit pris par les épaules et chassé par son maître ; que l’un ne s’en aille d’un côté, l’autre d’un autre ; et que vous n’entendiez ni l’histoire de l’hôtesse, ni la suite des amours de Jacques ? Rassurez-vous, je n’en ferai rien. L’hôtesse reprit donc :

Il faut convenir que s’il y a de bien méchants hommes, il y a de bien méchantes femmes.

Jacques.

Et qu’il ne faut pas aller loin pour les trouver.

L’hôtesse.

De quoi vous mêlez-vous ? Je suis femme, il me convient de dire des femmes tout ce qu’il me plaira ; je n’ai que faire de votre approbation.

Jacques.

Mon approbation en vaut bien une autre.

L’hôtesse.

Vous avez là, monsieur, un valet qui fait l’entendu et qui vous manque. J’ai des valets aussi, mais je voudrais bien qu’ils s’avisassent !…

Le maître.

Jacques, taisez-vous, et laissez parler madame.


L’hôtesse, encouragée par ce propos de maître, se lève, entreprend Jacques, porte ses deux poings sur ses deux côtés, oublie qu’elle tient Nicole, la lâche, et voilà Nicole sur le carreau, froissée et se débattant dans son maillot, aboyant à tue-tête, l’hôtesse mêlant ses cris aux aboiements de Nicole, Jacques mêlant ses éclats de rire aux aboiements de Nicole et aux cris de l’hôtesse, et le maître de Jacques ouvrant sa tabatière, reniflant sa prise de tabac et ne pouvant s’empêcher de rire. Voilà toute l’hôtellerie en tumulte. « Nanon, Nanon, vite, vite, apportez la bouteille à l’eau-de-vie… Ma pauvre Nicole est morte… Démaillotez-la… Que vous êtes gauche !

— Je fais de mon mieux.

— Comme elle crie ! Ôtez-vous de là, laissez-moi faire… Elle est morte !… Ris bien, grand nigaud ; il y a, en effet, de quoi rire… Ma pauvre Nicole est morte !

— Non, madame, non, je crois qu’elle en reviendra, la voilà qui remue. »