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Jacques.

C’est-à-dire que pour aujourd’hui le ciel veut que je me taise ou que ce soit l’hôtesse qui parle ; c’est une bavarde qui ne demande pas mieux ; qu’elle parle donc.

Le maître.

Tu prends de l’humeur.

Jacques.

C’est que j’aime à parler aussi.

Le maître.

Ton tour viendra.

Jacques.

Ou ne viendra pas[1].


Je vous entends, lecteur ; voilà, dites-vous, le vrai dénouement du Bourru bienfaisant[2]. Je le pense. J’aurais introduit dans cette pièce, si j’en avais été l’auteur, un personnage qu’on aurait pris pour épisodique, et qui ne l’aurait point été. Ce personnage se serait montré quelquefois, et sa présence aurait été motivée. La première fois il serait venu demander grâce ; mais la crainte d’un mauvais accueil l’aurait fait sortir avant l’arrivée de Géronte. Pressé par l’irruption des huissiers dans sa maison, il aurait eu la seconde fois le courage d’attendre Géronte ; mais celui-ci aurait refusé de le voir. Enfin, je l’aurais amené au dénouement, où il aurait fait exactement le rôle du paysan avec l’aubergiste ; il aurait eu, comme le paysan, une fille qu’il allait placer chez une marchande de modes, un fils qu’il allait retirer des écoles pour entrer en condition ; lui, il se serait déterminé à mendier jusqu’à ce qu’il se fût ennuyé de vivre. On aurait vu le Bourru bienfaisant aux pieds de cet homme ; on aurait entendu le Bourru bienfaisant gourmandé comme il le méritait ; il aurait été forcé de s’adresser à toute la famille qui l’aurait environné, pour fléchir son débiteur et le contraindre à accepter de nouveaux secours. Le Bourru bienfaisant aurait été puni ; il aurait promis de se corriger ; mais dans le moment même il serait revenu à son caractère, en s’impatientant contre

  1. Ces mots ne sont pas à la copie de l’édition originale.
  2. Le Bourru bienfaisant de Goldoni fut joué pour la première fois à Paris le 4 novembre 1771.

    Nous aurons à parler ailleurs des relations de Diderot avec Goldoni et des accusations de plagiat dont Diderot eut à souffrir lorsqu’il fit jouer le Père de famille.