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mêles-tu ? As-tu résolu de me faire attendre jusqu’à demain ? Jacques ! Jacques ! »

L’hôtesse, un peu remise de sa douleur et de sa fureur, dit à Jacques : « Monsieur, laissez-moi, vous êtes trop bon.

— Jacques ! Jacques !

— Courez vite. Ah ! si vous saviez tous les malheurs de cette pauvre créature !…

— Jacques ! Jacques !

— Allez donc, c’est, je crois, votre maître qui vous appelle.

— Jacques ! Jacques ! »

C’était en effet le maître de Jacques qui s’était déshabillé seul, qui se mourait de faim et qui s’impatientait de n’être pas servi. Jacques monta, et un moment après Jacques, l’hôtesse, qui avait vraiment l’air abattu : « Monsieur, dit-elle au maître de Jacques, mille pardons ; c’est qu’il y a des choses dans la vie qu’on ne saurait digérer. Que voulez-vous ? J’ai des poulets, des pigeons, un râble de lièvre excellent, des lapins : c’est le canton des bons lapins. Aimeriez-vous mieux un oiseau de rivière ? » Jacques ordonna le souper de son maître comme pour lui, selon son usage. On servit, et tout en dévorant, le maître disait à Jacques : Eh ! que diable faisais-tu là-bas ?

Jacques.

Peut-être un bien, peut-être un mal ; qui le sait ?

Le maître.

Et quel bien ou quel mal faisais-tu là-bas ?

Jacques.

J’empêchais cette femme de se faire assommer elle-même par deux hommes qui sont là-bas et qui ont cassé tout au moins un bras à sa servante.

Le maître.

Et peut-être ç’aurait été pour elle un bien que d’être assommée…

Jacques.

Par dix raisons meilleures les unes que les autres. Un des plus grands bonheurs qui me soient arrivés de ma vie, à moi qui vous parle…

Le maître.

C’est d’avoir été assommé ?… À boire.