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— Ma faute est de n’être point appelée à l’état religieux, et de revenir contre des vœux que je n’ai pas faits librement.

— C’est aux lois à décider cette affaire ; et de quelque manière qu’elles prononcent, il faut, en attendant, que vous remplissiez les devoirs de la vie religieuse.

— Personne, monsieur, n’y est plus exact que moi.

— Il faut que vous jouissiez du sort de toutes vos compagnes.

— C’est tout ce que je demande.

— N’avez-vous à vous plaindre de personne ?

— Non, monsieur, je vous l’ai dit ; je ne suis point venue pour accuser, mais pour me défendre.

— Allez.

— Monsieur, où faut-il que j’aille ?

— Dans votre cellule. »

Je fis quelques pas, puis je revins, et je me prosternai aux pieds de la supérieure et de l’archidiacre.

« Eh bien, me dit-il, qu’est-ce qu’il y a ? »

Je lui dis, en lui montrant ma tête meurtrie en plusieurs endroits, mes pieds ensanglantés, mes bras livides et sans chair, mon vêtement sale et déchiré :

« Vous voyez ! »


Je vous entends, vous, monsieur le marquis, et la plupart de ceux qui liront ces mémoires : « Des horreurs si multipliées, si variées, si continues ! Une suite d’atrocités si recherchées dans les âmes religieuses ! Cela n’est pas vraisemblable, » diront-ils, dites-vous. Et j’en conviens, mais cela est vrai, et puisse le ciel que j’atteste, me juger dans toute sa rigueur et me condamner aux feux éternels, si j’ai permis à la calomnie de ternir une de mes lignes de son ombre la plus légère ! Quoique j’aie longtemps éprouvé combien l’aversion d’une supérieure était un violent aiguillon à la perversité naturelle, surtout lorsque celle-ci pouvait se faire un mérite, s’applaudir et se vanter de ses forfaits, le ressentiment ne m’empêchera point d’être juste. Plus j’y réfléchis, plus je me persuade que ce qui m’arrive n’était point encore arrivé, et n’arrivera peut-être jamais. Une fois (et plût à Dieu que ce soit la première et la dernière !) il plut à la Providence, dont les voies nous sont