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Il m’ordonna de l’adorer à voix haute ; je le posai à terre, et je dis à genoux :

« Mon Dieu, mon sauveur, vous qui êtes mort sur la croix pour mes péchés et pour tous ceux du genre humain, je vous adore, appliquez-moi le mérite des tourments que vous avez soufferts ; faites couler sur moi une goutte du sang que vous avez répandu, et que je sois purifiée. Pardonnez-moi, mon Dieu, comme je pardonne à tous mes ennemis… »

Il me dit ensuite :

« Faites un acte de foi… » et je le fis.

« Faites un acte d’amour… » et je le fis.

« Faites un acte d’espérance… » et je le fis.

« Faites un acte de charité… » et je le fis.

Je ne me souviens point en quels termes ils étaient conçus ; mais je pense qu’apparemment ils étaient pathétiques ; car j’arrachai des sanglots de quelques religieuses, les deux jeunes ecclésiastiques en versèrent des larmes, et l’archidiacre étonné me demanda d’où j’avais tiré les prières que je venais de réciter.

Je lui dis :

« Du fond de mon cœur ; ce sont mes pensées et mes sentiments ; j’en atteste Dieu qui nous écoute partout, et qui est présent sur cet autel. Je suis chrétienne, je suis innocente ; si j’ai fait quelques fautes, Dieu seul les connaît ; et il n’y a que lui qui soit en droit de m’en demander compte et de les punir… »

À ces mots, il jeta un regard terrible sur la supérieure.

Le reste de cette cérémonie, où la majesté de Dieu venait d’être insultée, les choses les plus saintes profanées, et le ministre de l’Église bafoué, s’acheva ; et les religieuses se retirèrent, excepté la supérieure, moi et les jeunes ecclésiastiques. L’archidiacre s’assit, et tirant le mémoire qu’on lui avait présenté contre moi, il le lut à haute voix, et m’interrogea sur les articles qu’il contenait.

« Pourquoi, me dit-il, ne vous confessez-vous point ?

— C’est qu’on m’en empêche.

— Pourquoi n’approchez-vous point des sacrements ?

— C’est qu’on m’en empêche.

— Pourquoi n’assistez-vous ni à la messe, ni aux offices divins ?