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Nausicratès frappé de sa ressemblance avec un fils qu’il avait perdu, l’achète et le conduit à Abydos, le lieu de son séjour. Nausicratès et Thémisto, sa femme, aimèrent Polydore comme leur fils ; Polydore les respecta comme ses parents. Ils vivaient dans la simplicité des premiers âges du monde, et Polydore eût été trop heureux s’il n’eût pas été séparé de Carite, et sujet à des rêves fâcheux qui lui peignaient Carite infidèle. Tourmenté par ces rêves, il prend le parti de quitter le bon vieux Nausicratès et la bonne vieille Thémisto, de chercher Carite, de lui reprocher sa perfidie, et d’égorger son rival. Fait et dit, il part pour Épidaure. À un demi-mille de cette ville, il rencontra un vieillard. Il était tard. Ce vieillard l’invite à passer la nuit dans sa cabane. Polydore accepte ; on le reçoit avec joie ; on lui sert du lait ; on lui prépare un lit de nouvelles feuilles ; et, pour le désennuyer, on lui raconte les cruautés que le brigand Sinnis exerçait contre les voyageurs. « J’ai été moi-même témoin, lui disait le vieillard, de son dernier crime et du châtiment qu’il méritait. J’allais à la ville, lorsque je rencontrai un jeune homme qui conduisait une femme de même âge que lui. Ils me demandèrent le chemin et m’apprirent qu’ils étaient Crétois. Je leur souhaitai toutes sortes de prospérités ; mais à peine eus-je fait quelques pas que je les entendis pousser de grands cris. Je retournai la tête, et je vis le jeune homme déchiré par deux arbres courbés entre lesquels Sinnis l’avait attaché. Son épouse allait subir le même sort, lorsque Thésée survint et fit périr le brigand du supplice qu’il avait inventé. Je restai encore un moment, et je vis la jeune Crétoise rassembler en pleurant les membres épars de son époux. Je la ramenai dans ma maison. Depuis elle a fait élever deux tombeaux, l’un à son époux, l’autre à un de ses frères qui était mort auparavant. Il faut passer dans cet endroit pour aller à la ville. Nous pourrons demain nous arrêter à sa cabane. Jeune homme, si vous aimez la vertu et la piété, vous en verrez dans cette femme un modèle qui vous touchera. Présentement, allez vous reposer. »

Le lendemain Polydore et Menthès, c’est le nom du vieillard, se mettent en chemin pour Épidaure. Ils virent les deux tombeaux. C’étaient deux cubes de pierre surmontés de deux urnes de grès. Elles portaient chacune une inscription. Polydore s’ap-