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récitèrent ensemble le Miserere, excepté la supérieure qui, prosternée au pied des autels, se macérait cruellement en disant : « Ô Dieu ! si c’est par quelque faute que j’ai commise que vous vous êtes retiré de moi, accordez-m’en le pardon. Je ne demande pas que vous me rendiez le don que vous m’avez ôté, mais que vous vous adressiez vous-même à cette innocente qui dort tandis que je vous invoque ici pour elle. Mon Dieu, parlez-lui, parlez à ses parents, et pardonnez-moi. »

Le lendemain elle entra de bonne heure dans ma cellule ; je ne l’entendis point ; je n’étais pas encore éveillée. Elle s’assit à côté de mon lit ; elle avait posé légèrement une de ses mains sur mon front ; elle me regardait : l’inquiétude, le trouble et la douleur se succédaient sur son visage ; et c’est ainsi qu’elle me parut, lorsque j’ouvris les yeux. Elle ne me parla point de ce qui s’était passé pendant la nuit ; elle me demanda seulement si je m’étais couchée de bonne heure ; je lui répondis :

« À l’heure que vous m’avez ordonnée.

— Si j’avais reposé.

— Profondément.

— Je m’y attendais… Comment je me trouvais.

— Fort bien. Et vous, chère mère ?

— Hélas ! me dit-elle, je n’ai vu aucune personne entrer en religion sans inquiétude ; mais je n’ai éprouvé sur aucune autant de trouble que sur vous. Je voudrais bien que vous fussiez heureuse.

— Si vous m’aimez toujours, je le serai.

— Ah ! s’il ne tenait qu’à cela ! N’avez-vous pensé à rien pendant la nuit ?

— Non.

— Vous n’avez fait aucun rêve ?

— Aucun.

— Qu’est-ce qui se passe à présent dans votre âme ?

— Je suis stupide ; j’obéis à mon sort sans répugnance et sans goût ; je sens que la nécessité m’entraîne, et je me laisse aller. Ah ! ma chère mère, je ne sens rien de cette douce joie, de ce tressaillement, de cette mélancolie, de cette douce inquiétude que j’ai quelquefois remarquée dans celles qui se trouvaient au moment où je suis. Je suis imbécile, je ne saurais même pleurer. On le veut, il le faut, est la seule idée qui me vienne… Mais vous ne me dites rien.