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père ; la molécule paternelle était dure et obtuse, et cette maudite molécule première s’est assimilé tout le reste.

moi.

Aimez-vous votre enfant ?

lui.

Si je l’aime, le petit sauvage ! j’en suis fou.

moi.

Est-ce que vous ne vous occuperez pas sérieusement d’arrêter en lui l’effet de la maudite molécule paternelle ?

lui.

J’y travaillerai, je crois, bien inutilement. S’il est destiné à devenir un homme de bien, je n’y nuirai pas ; mais si la molécule voulait qu’il fût un vaurien comme son père, les peines que j’aurais prises pour en faire un homme honnête lui seraient très-nuisibles. L’éducation croisant sans cesse la pente de la molécule, il serait tiré comme par deux forces contraires et marcherait tout de guingois dans le chemin de la vie, comme j’en vois une infinité, également gauches dans le bien et dans le mal. C’est ce que nous appelons des espèces, de toutes les épithètes la plus redoutable, parce qu’elle marque la médiocrité et le dernier degré du mépris. Un grand vaurien est un grand vaurien, mais n’est point une espèce. Avant que la molécule paternelle n’eût repris le dessus et ne l’eût amené à la parfaite abjection où j’en suis, il lui faudrait un temps infini, il perdrait ses plus belles années ; je n’y fais rien à présent, je le laisse venir. Je l’examine, il est déjà gourmand, patelin, filou, paresseux, menteur ; je crains bien qu’il ne chasse de race.

moi.

Et vous en ferez un musicien afin qu’il ne manque rien à la ressemblance ?

lui.

Un musicien ! un musicien ! quelquefois je le regarde en grinçant les dents et je dis : Si tu devais jamais savoir une note, je crois que je te tordrais le cou.

moi.

Et pourquoi cela, s’il vous plaît ?