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à tout son désespoir ; un temple qui s’élève ; des oiseaux qui se taisent au soleil couchant ; des eaux ou qui murmurent dans un lieu solitaire et frais, ou qui descendent en torrent du haut des montagnes ; un orage, une tempête, la plainte de ceux qui vont périr, mêlée au sifflement des vents, au fracas du tonnerre. C’était la nuit avec ses ténèbres, c’était l’ombre et le silence, car le silence même se peint par des sons. Sa tête était tout à fait perdue.

Épuisé de fatigue, tel qu’un homme qui sort d’un profond sommeil ou d’une longue distraction, il resta immobile, stupide, étonné ; il tournait ses regards autour de lui comme un homme égaré qui cherche à reconnaître le lieu où il se trouve ; il attendait le retour de ses forces et de ses esprits ; il essuyait machinalement son visage. Semblable à celui qui verrait à son réveil son lit environné d’un grand nombre de personnes dans un entier oubli ou dans une profonde ignorance de ce qu’il a fait, il s’écria dans le premier moment : « Eh bien, messieurs, qu’est-ce qu’il y a ?… D’où viennent vos ris et votre surprise ? Qu’est-ce qu’il y a ?… » Ensuite il ajouta : « Voilà ce qu’on doit appeler de la musique et un musicien ! Cependant, messieurs, il ne faut pas mépriser certains airs de Lulli. Qu’on fasse mieux la scène de J’attendrai l’aurore… sans changer les paroles, j’en défie. Il ne faut pas mépriser quelques endroits de Campra, les airs de violon de mon oncle, ses gavottes, ses entrées de soldats, de prêtres, de sacrificateurs. Pâles flambeaux, Jour plus affreux que les ténèbres… Dieu du Tartare, Dieu de l’oubli… » (Là il enflait sa voix, il soutenait ses sons ; les voisins se mettaient aux fenêtres, nous mettions nos doigts dans nos oreilles. Il ajoutait : ) C’est qu’ici il faut des poumons, un grand organe, un volume d’air ; mais avant peu, serviteur à l’Assomption, le Carême et les Rois sont passés. Ils ne savent pas encore ce qu’il faut mettre en musique, ni par conséquent ce qui convient au musicien. La poésie lyrique est encore à naître ; mais ils y viendront à force d’entendre Pergolèse, le Saxon, Terradeglias, Traetta et les autres ; à force de lire le Métastase, il faudra bien qu’ils y viennent.

moi.

Quoi donc ! est-ce que Quinault, La Motte, Fontenelle n’y ont rien entendu ?