Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/353

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la petite comtesse hissée sur la pointe de ses pieds ; et j’entends son ton emphatique.

— Allez, vous êtes un scélérat, un corrompu comme tous ces gens-là, et je me tais.

— Je vous promets de ne plus rire.

— Prenez-y garde.

— Hé bien, les serments prononcés au pied des autels…

— « Ont été suivis de tant de parjures, que je ne fais aucun compte de la promesse solennelle de demain. La présence de Dieu est moins redoutable pour nous que le jugement de nos semblables. Monsieur Desroches, approchez. Voilà ma main ; donnez-moi la vôtre, et jurez-moi une fidélité, une tendresse éternelle ; attestez-en les hommes qui nous entourent. Permettez que, s’il arrive que vous me donniez quelques sujets légitimes de me plaindre, je vous dénonce à ce tribunal, et vous livre à son indignation. Consentez qu’ils se rassemblent à ma voix, et qu’ils vous appellent traître, ingrat, perfide, homme faux, homme méchant. Ce sont mes amis et les vôtres. Consentez qu’au moment où je vous perdrais, il ne vous en reste aucun. Vous, mes amis, jurez-moi de le laisser seul. »

À l’instant le salon retentit des cris mêlés : Je promets ! je permets ! je consens ! nous le jurons ! Et au milieu de ce tumulte délicieux, le chevalier, qui avait jeté ses bras autour de Mme  de La Carlière, la baisait sur le front, sur les yeux, sur les joues. « Mais, chevalier ! »

— « Mais, madame, la cérémonie est faite ; je suis votre époux, vous êtes ma femme. »

— « Au fond des bois, assurément ; ici il manque une formalité d’usage. En attendant mieux, tenez, voilà mon portrait ; faites-en ce qu’il vous plaira. N’avez-vous pas ordonné le vôtre ? Si vous l’avez, donnez-le-moi… »

Desroches présenta son portrait à Mme  de La Carlière, qui le mit à son bras, et qui se fit appeler, le reste de la journée, Mme  Desroches.

— Je suis bien pressé de savoir ce que cela deviendra.

— Un moment de patience. Je vous ai promis d’être long ; et il faut que je tienne parole. Mais… il est vrai… c’était dans le temps de votre grande tournée, et vous étiez alors absent du royaume.