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cas du testament ; au lieu de le résoudre, il nous raconta un fait qui lui était personnel.

LE PRIEUR.

Vous vous rappelez l’énorme faillite du changeur Bourmont.

MON PÈRE.

Si je me rappelle ! j’y étais pour quelque chose.

LE PRIEUR.

Tant mieux !

MON PÈRE.

Pourquoi tant mieux ?

LE PRIEUR.

C’est que, si j’ai mal fait, ma conscience en sera soulagée d’autant. Je fus nommé syndic des créanciers. Il y avait parmi les effets actifs de Bourmont un billet de cent écus sur un pauvre marchand grènetier son voisin. Ce billet, partagé au prorata de la multitude des créanciers, n’allait pas à douze sous pour chacun d’eux ; et exigé du grènetier, c’était sa ruine. Je supposais.

MON PÈRE.

Que chaque créancier n’aurait pas refusé 12 sous à ce malheureux ; vous déchirâtes le billet, et vous fîtes l’aumône de ma bourse.

LE PRIEUR.

Il est vrai ; en êtes-vous fâché ?

MON PÈRE.

Non.

LE PRIEUR.

Ayez la bonté de croire que les autres n’en seraient pas plus fâchés que vous ; et tout sera dit.

MON PÈRE.

Mais, monsieur le prieur, si vous lacérez de votre autorité privée un billet, pourquoi n’en lacérerez-vous pas deux, trois, quatre ; tout autant qu’il se trouvera d’indigents à secourir aux dépens d’autrui ? Ce principe de commisération peut nous mener loin, monsieur le prieur : la justice, la justice…

LE PRIEUR.

On l’a dit, est souvent une grande injustice.