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MOI.

Le prieur voudrait qu’on lui expédiât un récit, comme il expédie ses matines.

LE PRIEUR.

Pourquoi non ? L’art oratoire veut que le récit soit bref, et l’Évangile que la prière soit courte.

MON FRÈRE.

Au bruit de quelque délit atroce, il en informait ; il en poursuivait chez lui une instruction rigoureuse et secrète. Sa double fonction de rapporteur et de juge remplie, le procès criminel parachevé, et la sentence prononcée, il sortait avec une arquebuse sous son manteau ; et, le jour, s’il rencontrait les malfaiteurs dans quelques lieux écartés, ou la nuit, dans leurs tournées, il vous leur déchargeait équitablement cinq ou six balles à travers le corps.

LE PRIEUR.

Je crains bien que ce brave homme-là n’ait été rompu vif. J’en suis fâché.

MON FRÈRE.

Après l’exécution, il laissait le cadavre sur la place sans en approcher, et regagnait sa demeure, content comme quelqu’un qui aurait tué un chien enragé.

LE PRIEUR.

En tua-t-il beaucoup de ces chiens-là ?

MON FRÈRE.

On en comptait plus de cinquante, et tous de haute condition ; lorsque le vice-roi proposa deux mille écus de récompense au délateur ; et jura, en face des autels, de pardonner au coupable s’il se déférait lui-même.

LE PRIEUR.

Quelque sot !

MON FRÈRE.

Dans la crainte que le soupçon et le châtiment ne tombassent sur un innocent…

LE PRIEUR.

Il se présenta au vice-roi !