Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MON PÈRE.

Lorsque la loi ordonne, après le décès, l’inventaire et la lecture de tous les papiers, sans exception, elle a son motif, sans doute ; et ce motif quel est-il ?

MOI.

Si j’étais caustique, je vous répondrais : de dévorer les héritiers, en multipliant ce qu’on appelle des vacations ; mais songez que vous n’étiez point l’homme de la loi ; et qu’affranchi de toute forme juridique, vous n’aviez de fonctions à remplir que celles de la bienfaisance et de l’équité naturelle.


Ma sœur se taisait ; mais elle me serrait la main en signe d’approbation. L’abbé secouait les oreilles, et mon père disait : Et puis encore une petite injure au père Bouin. Tu crois du moins que ma religion m’absout ?

MOI.

Je le crois ; mais tant pis pour elle.

MON PÈRE.

Cet acte, que tu brûles de ton autorité privée, tu crois qu’il aurait été déclaré valide au tribunal de la loi ?

MOI.

Cela se peut ; mais tant pis pour la loi.

MON PÈRE.

Tu crois qu’elle aurait négligé toutes ces circonstances, que tu fais valoir avec tant de force ?

MOI.

Je n’en sais rien ; mais j’en aurais voulu avoir le cœur net. J’y aurais sacrifié une cinquantaine de louis : ç’aurait été une charité bien faite, et j’aurais attaqué le testament au nom de ces pauvres héritiers.

MON PÈRE.

Oh ! pour cela, si tu avais été avec moi, et que tu m’en eusses donné le conseil, quoique, dans les commencements d’un établissement, cinquante louis ce soit une somme, il y a tout à parier que je l’aurais suivi.

L’ABBÉ.

Pour moi, j’aurais autant aimé donner cet argent aux pauvres héritiers qu’aux gens de justice.