Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écriteaux à sa porte, sur l’un desquels on lit : Maison à vendre vingt mille francs, ou à louer douze cents francs par an, sans bail ; et sur l’autre : Vingt mille francs à prêter pour un an, à six pour cent.

MOI.

Un fou, ma sœur ? Et s’il n’y avait qu’un écriteau où vous en voyez deux, et que l’écriteau du prêt ne fût qu’une traduction de celui de la location ? Mais laissons cela, et revenons au père Bouin.

MON PÈRE.

Le père Bouin ajouta : « Et qui est-ce qui vous a autorisé à ôter ou à donner de la sanction aux actes ? Qui est-ce qui vous a autorisé à interpréter les intentions des morts ?

« — Mais, père Bouin, et le coffre ?

« — Qui est-ce qui vous a autorisé à décider si ce testament a été rebuté de réflexion, ou s’il s’est égaré par méprise ? Ne vous est-il jamais arrivé d’en commettre de pareilles, et de retrouver au fond d’un seau un papier précieux que vous y aviez jeté d’inadvertance ?

« — Mais, père Bouin, et la date et l’iniquité de ce papier ?

« — Qui est-ce qui vous a autorisé à prononcer sur la justice ou l’injustice de cet acte, et à regarder le legs universel comme un don illicite, plutôt que comme une restitution ou telle autre œuvre légitime qu’il vous plaira d’imaginer ?

« — Mais, père Bouin, et ces héritiers immédiats et pauvres, et ce collatéral éloigné et riche ?

« — Qui est-ce qui vous a autorisé à peser ce que le défunt devait à ses proches, que vous ne connaissez pas davantage ?

« — Mais, père Bouin, et ce tas de lettres du légataire, que le défunt ne s’était pas seulement donné la peine d’ouvrir !… »

Une circonstance que j’avais oubliée de vous dire, ajouta mon père, c’est que dans l’amas de paperasses, entre lesquelles je trouvai ce fatal testament, il y avait vingt, trente, je ne sais combien de lettres des Frémins, toutes cachetées.

« Il n’y a, dit le père Bouin, ni coffre, ni date, ni lettres, ni père Bouin, ni si, ni mais, qui tienne ; il n’est permis à personne d’enfreindre les lois, d’entrer dans la pensée des morts, et de disposer du bien d’autrui. Si la Providence a résolu de châtier ou l’héritier ou le légataire, ou le défunt, car on ne sait lequel,