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l’ignorance des gens du monde qui ne pardonne rien, est encore plus redoutable que les lumières et l’instruction[1] des auteurs qui remarquent tout.

La tristesse de la nature gagne le cœur de l’homme : il réfléchit, il sent le nécessaire enchaînement des saisons ; il se dit à lui-même :


Et par ses changements la sagesse infinie
Dans l’univers immense entretient l’harmonie.


Il se console ; le ciel s’épure ; l’air se refroidit ; le vent du nord s’élève ; les eaux sont glacées ; la terre se couvre de neige ; les animaux, pressés par la faim, viennent pendant la nuit rugir autour de la demeure des hommes ; leurs cris réveillent le remords assoupi au fond des cœurs coupables. Le bonheur a quitté les campagnes, il s’est réfugié dans les villes.


Talents, amour des arts, agréables instincts,
Palais où le bon goût préside à nos festins,
Cercles brillants et gais où la raison s’éclaire,
Où l’esprit s’embellit par le désir de plaire ;
Doux besoin du plaisir, aimable volupté,
Sentiments animés par la société,
Tendre lien des cœurs, amitié sainte et pure,
Vous expiez assez les torts de la nature.


Le poëte part de là pour chanter le génie et ses inventions, la formation de la société, l’origine des sciences, la naissance des arts, le fer coulant des fourneaux embrasés, les instruments de l’agriculture formés, les lois imposées, le chant, la danse, la sculpture, la peinture, l’architecture, la comédie, la tragédie, le luxe et toutes ses branches.

Après ce long écart, le poëte ramène ses regards sur les champs ; il retourne en idée dans son champêtre séjour. Il médite, il étudie l’homme et la nature ; il s’étudie lui-même. Il passe des journées délicieuses entre les hommes les plus célèbres des nations anciennes et modernes. Il se prête aux amusements de l’habitant de la campagne ; il décrit ses travaux. Il place la

  1. Il y a dans Grimm : « L’ignorance des gens du monde qui ne pardonne rien est encore plus cruelle que la jalousie des auteurs qui remarque tout. »