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Pour juge il a son cœur ; pour amis ses égaux ;
La gloire ou l’intérêt n’en font pas ses rivaux ;
Il peut trouver du moins, dans le cours de sa vie,
Un cœur sans injustice, un ami sans envie.


Ce morceau est peut-être un peu long, un peu monotone ; le ton ne s’y diversifie pas au gré des objets, c’est toujours la même corde,


. . . . . Chorda semper oberrat eadem ;

Horat. De Arte poet., v. 356.


mais il ne faut qu’un peu d’âme, un peu de sensibilité, pour pardonner, peut-être même pour ne pas apercevoir ce défaut[1].

Tandis qu’il chante la vie heureuse d’un gentilhomme de campagne, l’automne s’avance, les jours se raccourcissent, le ciel devient vaporeux, les nuées s’arrêtent sur les montagnes, et y déposent ces eaux qui formeront les fleuves, les rivières, les ruisseaux et les fontaines. La vigne se dépouille de sa feuille ; la grappe exposée au soleil se mûrit ; et le moment de la vendange approche.

La vendange se fait. Il y a de la gaieté dans la description des vendanges : ce n’est pas la fureur des orgies anciennes ; ce sont des tableaux plus simples, plus doux, moins poétiques, mais plus dans nos mœurs.

Tandis que le vin nouveau bouillonne dans les tonneaux, les vents s’élèvent, les pluies tombent, les premiers frimas paraissent, la terre a déjà reçu des labours, et le poëte s’occupe des engrais et de l’indolence de l’habitant des champs qui n’ose rien tenter d’utile, découragé par la frayeur des exactions.

Ici le poète conduit l’agriculteur au pied du trône, et le fait parler à son roi avec dignité, pathétique et noblesse. Ce morceau est encore un de ceux qu’on citera quelque jour.

Tandis que l’agriculteur se plaint de sa misère, la fin de l’automne arrive ; la terre s’attriste ; les oiseaux se rassemblent : le murmure des vents se fait entendre dans la forêt ; les bran-

  1. « Je retiens ce morceau pour un des fragments qui procureront à l’auteur une grande réputation dans la postérité, à condition que son poème n’y arrive pas. » (Note de Grimm.)