Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est lui qui porte le flambeau au fond de la caverne ; c’est lui qui apprend à discerner les motifs subtils et déshonnêtes qui se cachent et se dérobent sous d’autres motifs qui sont honnêtes et qui se hâtent de se montrer les premiers. Il souffle sur le fantôme sublime qui se présente à l’entrée de la caverne ; et le More hideux qu’il masquait s’aperçoit.

C’est lui qui sait faire parler les passions, tantôt avec cette violence qu’elles ont lorsqu’elles ne peuvent plus se contraindre ; tantôt avec ce ton artificieux et modéré qu’elles affectent en d’autres occasions.

C’est lui qui fait tenir aux hommes de tous les états, de toutes les conditions, dans toute la variété des circonstances de la vie, des discours qu’on reconnaît. S’il est au fond de l’âme du personnage qu’il introduit un sentiment secret, écoutez bien, et vous entendrez un ton dissonant qui le décèlera. C’est que Richardson a reconnu que le mensonge ne pouvait jamais ressembler parfaitement à la vérité, parce qu’elle est la vérité, et qu’il est le mensonge.

S’il importe aux hommes d’être persuadés qu’indépendamment de toute considération ultérieure à cette vie, nous n’avons rien de mieux à faire pour être heureux que d’être vertueux, quel service Richardson n’a-t-il pas rendu à l’espèce humaine ? Il n’a point démontré cette vérité ; mais il l’a fait sentir : à chaque ligne il fait préférer le sort de la vertu opprimée au sort du vice triomphant. Qui est-ce qui voudrait être Lovelace avec tous ses avantages ? Qui est-ce qui ne voudrait pas être Clarisse, malgré toutes ses infortunes ?

Souvent j’ai dit en le lisant : Je donnerais volontiers ma vie pour ressembler à celle-ci ; j’aimerais mieux être mort que d’être celui-là.

Si je sais, malgré les intérêts qui peuvent troubler mon jugement, distribuer mon mépris ou mon estime selon la juste mesure de l’impartialité, c’est à Richardson que je le dois. Mes amis, relisez-le, et vous n’exagérerez plus de petites qualités qui vous sont utiles ; vous ne déprimerez plus de grands talents qui vous croisent ou qui vous humilient.

Hommes, venez apprendre de lui à vous réconcilier avec les maux de la vie ; venez, nous pleurerons ensemble sur les personnages malheureux de ses fictions, et nous dirons : « Si