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PRÉFACE-ANNEXE
DE LA RELIGIEUSE[1]


EXTRAIT DE LA CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE DE GRIMM
ANNÉE 1770[2].


La Religieuse[3] de M. de La Harpe a réveillé ma conscience endormie depuis dix ans, en me rappelant un horrible complot

  1. Les lettres attribuées ici au marquis de Croismare, le seul de tous les acteurs de ce drame qui ne fût pas dans le secret de la plaisanterie, sont véritablement de cet homme honnête, sensible et bienfaisant. Ceux qui l’ont connu y retrouveront partout la candeur et la simplicité de son âme. Les autres lettres, où l’on remarque de même un grand caractère de vérité, mais qui n’est que l’heureux effet de l’art et du talent, sont de Diderot, à l’exception de quelques lignes que lui ont fournies Grimm et Mme d’Épinay. C’est chez cette femme, amie des lettres, et qui les cultivait, que s’ourdissait gaiement, et par un motif d’une honnêteté très-délicate, toute la trame de cet ingénieux roman, où le bon et vertueux Croismare joue un si beau rôle. Ses amis, dont il embellissait la société par les grâces et l’originalité de son esprit, le voyaient avec peine confiné depuis deux ans dans sa terre, et presque résolu à s’y fixer tout à fait. Cette longue absence et ce projet d’une retraite totale les affligeaient également ; et ils imaginèrent ce moyen de le tirer d’une solitude pour laquelle, d’ailleurs, son âme aimante, active et douce n’était point faite. Mais l’intérêt qu’ils lui inspirèrent pour la jeune religieuse devenant très-vif, ils furent obligés de la faire mourir, et de terminer ainsi un roman qui n’avait pour but que de le ramener au milieu d’eux, en lui offrant une occasion de secourir la vertu malheureuse, et de faire une bonne action de plus. Voyez, dans cette première lettre, qui est de Grimm, d’autres détails relatifs au marquis de Croismare et à la prétendue religieuse. (N.) Voyez aussi notre Notice préliminaire de la Religieuse.
  2. Pour cet extrait, nous avons suivi le texte que nous ont fourni les deux volumes de passages supprimés de la Correspondance de Grimm, dont nous avons déjà parlé (t. I, p. lxvi, note), et qui se trouvent à la bibliothèque de l’Arsenal. Il nous a paru de beaucoup préférable à la version reproduite jusqu’à présent, en ce qu’il comporte, outre des changements heureux dans la forme, des passages nouveaux qui ont leur importance. Nous engageons les lecteurs qui voudraient constater ces différences, que nous n’avons pas voulu toutes indiquer dans nos notes, pour ne pas les multiplier outre mesure, à comparer les deux rédactions.
  3. Mélanie, drame de La Harpe, dont le sujet est aussi les malheurs d’une religieuse malgré elle, fut représentée en 1770. À cette époque, la Religieuse de Diderot